Agnès songeait toujours à ce Duc. Cette fois-ci, Jeanne semblait avoir trouvé les mots justes pour l'exciter par cette nouvelle, troublant son sommeil. Richesse, terres, protection, statut... Il paraissait être le mari parfait. Alors comment se faisait-il qu'il soit toujours sans épouse ? Et quand bien même, qu'en était-il de ses goûts personnels ? Aimait-il le fort caractère des femmes de fermiers, l'innocence et l'obéissance des servantes, ou la coquetterie et l'élégance des femmes nobles ? Elle n'était rien de cela. D'ailleurs, son statut trahissait cette confusion. Même les femmes de chambre ne savaient quel titre utiliser pour la convier. Elle était simplement la fille du célèbre peintre et ami de la couronne, Emmanuel Ducoroy.
Finalement, elle avait promis à Jeanne de discourir avec le Duc de Vendôme. Si cela pouvait taire son excitation naissante qui ne la quittait plus. En attendant, elle avait l'esprit vagabond dans les couloirs, à rêver d'un Duc fascinant... Elle ne pouvait s'empêcher de croire au grand amour, à la folie des désirs, à une union complétée d'une foudroyante passion. Elle soupira, se maudissant de penser ainsi. Si quiconque pouvait lire dans ses pensées, elle ne pourrait lui attribuer un regard de toute sa vie.
Elle fut bientôt à sa chambre, refermant calmement la porte derrière elle. Elle se laissa guider par la clarté de sa fenêtre dont elle avait oublié d'infléchir les ouvertures. Mais lorsqu'elle y plongea les bras, le vent frais eut raison de son action. Elle se dirigea vers son infime balcon pour en profiter pleinement. Ses appartements étaient rustiques et étroits, mais elle avait le privilège, comme l'occupant de la chambre à sa droite, d'avoir un balcon à sa fenêtre. Son voisin était inexistant... Elle avait tout simplement fini par croire que la chambre près d'elle était inoccupée. Mais ce n'était pas pour lui déplaire. Elle n'était pas à l'aise avec le bavardage compulsif, cette obligation à saluer son prochain.
Ses pensées s'emportèrent dans la contemplation de son arme de masse, magnifique outil dont la présence devait rester secrète. Elle se promit de s'y entrainer le lendemain, si le temps lui était propice. Elle finit par se retirer de son balcon pour s'installer devant son miroir, défaisant la splendide couronne de fleurs entremêlées dans sa tresse. Elle coiffait ses longs cheveux châtains quand on frappa à la porte. Agnès délaissa aussitôt sa brosse d'argent, cadeau de sa mère, pour ouvrir le battant. Il s'agissait de son père vêtu d'une étoffe de noblesse. Agnès ne parvenait toujours pas à s'accomoder à cette réalité. Elle ne pouvait imaginer son père autrement qu'en peintre foudroyé de talent, persécuté d'élans de création soudains et impératifs... Dans sa chemise crème, délavée, et tachée de peinture.
Cette fois-ci, Agnès se fit violence pour ne pas se perdre dans le monde de ses songes. Son père affichait un visage grave, et elle se sentit réticente quant à l'éclat trouble de son regard. Après tout, ils ne s'étaient pas vus depuis un temps... Elle ne savait plus comment agir avec cet homme. Mais au moins, elle aurait eu tendance à préférer la tendresse. Elle exécuta donc un salut convenable, et le fit entrer dans sa chambre tandis qu'elle cherchait désespérément ses mots. Il avait maintenant une barbe plus prononcée, des colliers bien étincelants pour un simple peintre d'une autre contrée, et à la lumière cela lui valait une allure d'homme extrêmement riche. Bien entendu, ils faisaient partie des amis de la couronne... Mais cette illusion accentuait l'autorité qu'il projetait sur elle.
Elle voulut engager la conversation, toujours avec cet entrain d'une femme pleine de vie, mais elle fut interrompue dans son élan. Emmanuel Ducoroy avait pris la parole et lui parlait comme l'aurait fait un étranger. Où était donc passé le père bienveillant au cœur tendre envers sa fille ?
- Je voulais venir à ta rencontre ce matin mais j'ai été surpris par des occupations. Alors, je me suis résolu à te rendre visite en soirée dans ta chambre.
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L'Agnès
Historical FictionL'an 1563. Alors que les guerres de religion éclatent et bouleversent le royaume de France, Agnès Ducoroy, fille d'un riche peintre et ami de la couronne, se trouve en sûreté dans le palais de Blois. Mais les massacres en province et la recherche de...