Un jour ?

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CASSIOPÉE

L'idée de sortir de l'appartement de Drago me mit en joie.

J'ai fait beaucoup de progrès, même si je ne trouve toujours pas cela suffisant.

Mais, je me suis fait une raison. Je leur dois de vivre ma vie, à Kate, à Aïden. C'est un peu comme quand Malefoy, dans ses lettres, m'a promis de vivre 10 ans pour moi, pour les années que son père m'avait pris.

Je lui suis reconnaissante, en quelques sortes.

S'il s'était tué après mon départ, je ne l'aurais pas supporté. C'est peut-être cliché, mais je ne voyais pas que l'amour qu'il me portait à l'époque était si fort.

J'aurais du savoir, j'aurais du comprendre.

Mais, j'avais besoin de me concentrer sur moi-même. Je ne voyais que mon passé, et je pensais qu'il nous aurait plus impacté que cela.

Je suis tombée amoureuse de lui alors que je souffrais, mais en réalité, la situation a été la même pour lui.

Quoi qu'il en soit, cela n'a plus d'importance désormais. Je suis chez lui pour le moment. Cela me permet aussi de ne pas sombrer dans la folie. Il est attentionné et cherche à m'aider. Néanmoins, je ne veux pas qu'il en souffre. A vrai dire, je ne sais pas ce qu'il ressent. Il soutient le fait qu'il veut m'aider, mais il tient ses émotions en laisse. J'ai envie de croire qu'il est heureux de ma présence, mais je n'en suis pas sure. Et si je lui faisais plus de mal que de bien..?

Je secoue légèrement la tête et reprends mon activité maquillage. Je ne dois pas penser à ça. J'ai envie de me sentir jolie, alors j'avais demandé à Léonard, mon kinésimage, de m'apporter quelques produits. Etrangement, l'idée de le demander à Drago m'avait mise mal à l'aise. Non pas que je redoute son avis, mais... je ne sais pas. Tout est tellement bizarre entre nous, comme un édifice ancien qui menace en permanence de s'effondrer. L'expression marcher sur des œufs aurait pu prendre tout son sens sans ce fauteuil... 

Me maquiller me fit du bien, je crois. Je n'ai plus l'air de sortir d'un hôpital. Mon teint a retrouvé une jolie couleur, et on ne voit plus mes cernes.

Le kinésimage, en relation étroite avec un psychomage, a insisté pour que je commence un travail sur moi-même. Les premiers exercices sont ceux de l'apparence. C'est difficile, surtout en considérant le fait que depuis ma sortie du Manoir Malefoy, j'ai toujours eu du mal a accepter et à admirer mon reflet dans un miroir lorsque je ne porte pas mon sortilège de désillusion. Je me plie cependant à l'exercice. Si je n'avais pas accepté de le faire, je me serais retrouvée à subir des séances avec le psyhomage en question. Hors de question. 

- Cassie ? Tu es prête ?

Je tourne la tête, et vois Drago s'approcher, la porte étant restée entre-ouverte.

- Oui, je réponds.

Grâce à un semblant de force acquise ces dernières semaines, je manœuvre mon fauteuil pour lui faire face. A sa manière de m'observer, je comprends qu'il remarque le changement, mais il ne fait aucune remarque. Je l'en remercie silencieusement. J'apprécie le fait qu'il soit attentif à ce genre de détails, mais j'aime aussi sa manière de laisser les choses passer discrètement, comme si c'était normal.

Voilà ce que je souhaite : être normale.

C'est pour cela que je suis aussi enjouée à l'idée de sortir. Certes, je ne suis pas prête à affronter les regards curieux. Mais les regards curieux font partie intégrante de la vie des gens normaux.

- Où veux-tu aller déjeuner ? demande Drago en se positionnant derrière moi pour me pousser vers l'ascenseur.

- Je ne sais pas, je concède. Tu décides ?

Je l'entends grommeler quelque chose qui ressemble à "j'en étais sûr" et cela me fait sourire. Malefoy s'était changé. Il travaille depuis l'appartement la plupart du temps, et il porte toujours la même chose : une chemise et un pantalon noirs. Mais, comme nous sortons, il s'est un peu apprêté, et porte un costume bleu marine, ainsi qu'une chemise blanche.

Je sers mon écharpe sur mes genoux alors que nous arrivons au sous-sol. Il fait froid, désormais. Je n'ai pas cela. J'aime la pluie, mais pas le froid. Le froid me rappelle ma captivité.

- Alors, où allons-nous ? je demande avec un sourire lorsque la voiture de Drago quitte le parking pour s'engager sur la route.

- Dans un restaurant de nourriture française, il répond. Un de mes amis en est le gérant, et la nourriture est excellente. Je me suis dit que cela te plairait...

Ce genre de petites attentions me rendait à la fois tendre et angoissée.

Merde, me connaît-il si bien que cela ?

Et puis, je me souviens que non, parce que je suis partie.

Il ne connaît de moi que la partie émergée d'un iceberg lointain. Et c'est de ma faute.

Pour la première fois depuis que j'ai eu mon accident, je ressens de la culpabilité face à ce qui s'est passé il y a 6 ans. Le poids de la culpabilité de la mort de Kate et Aïden était tellement fort qu'il avait évincé le reste.

Mais, désormais, cela revient aussi.

Je me souviens de la douleur qui m'a écrasé quand j'ai lu ses lettres.

Je me souviens de la froideur dont il a fait preuve envers moi au club.

Et de celle dont il fait preuve envers moi, même quand nous ne sommes que tous les deux.

Je l'ai bousillé.

- Tout va bien Cassiopée ? il demande.

Sa tête est légèrement inclinée sur le côté, ses yeux gris sont inquiets, aux aguets de mes réactions. Tout dans sa posture exprime la droiture, même s'il semble s'en faire pour moi. Comment ai-je pu être aussi aveugle, pendant tout ce temps passé avec lui à l'école ? Comment ai-je pu nous faire autant de mal pendant les six dernières années ? Comment ai-je pu partir, commettant ce qui semble désormais irréparable ?

- M'aimeras-tu de nouveau, un jour ? je murmure.

Je me surprends moi-même à poser cette question. Mais qu'est-ce qui me prend ? Cette question était sortie toute seule. J'ai beau avoir le reflexe de poser mes mains sur ma bouche, les mots étaient dits.

- Pardon... je chuchote, encore plus faiblement que la question précédente. Je suis désolée, je n'aurais pas du poser cette question, oublie ça.

Je le quitte des yeux pour me focaliser sur la route. J'ai eu l'impression qu'il était choqué, lui aussi. Etonné serait peut-être un terme plus adéquat. Je n'ai même pas envie de connaître la réponse à cette question. Je ne suis pas prête à l'entendre, mais je l'ai posée quand même.

- Cassiopée... il commence mais je le coupe, sans lui jeter de regard.

- Non Drago, je réplique. Je n'avais pas à te demander cela. Tu n'as pas à y répondre.

S'il te plaît, ne réponds pas... J'avais envie d'ajouter, mais je ne l'ai pas fait.

Je me suis contentée de fixer le paysage, les nuages du ciel gris de Londres, la circulation. Les secondes se sont écoulées ainsi, comme si le monde s'était arrêté de tourner seulement dans l'enceinte de cette voiture. En face de moi, je devinais son regard sur moi, mais je faisais de mon mieux pour l'éviter. Les secondes sont devenues des minutes, et nous roulions encore et encore. Mes poumons ne voulaient plus se remplir d'air, et ma question tournait en boucle dans ma tête. Le silence qui l'a accompagnée aussi.

- J'espère que oui, Cassiopée. J'espère que cela arrivera, même si ça me terrifie.

Sa réponse me déroute encore plus : déjà parce qu'elle comporte une fragilité et une émotion qui se faisait rare chez lui, mais aussi parce qu'elle confirme mes peurs. Il ne m'aime plus. J'ai beau avoir toujours espéré qu'il avait arrêté de m'aimer, pour ne plus souffrir, le savoir me détruit.

Il ne m'aime plus.

Et moi je l'aime toujours.

Au cœur du brasierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant