Ô 𝐉𝐎𝐋𝐈 𝐏𝐀𝐎𝐍

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐

BETH-ANNE
18 Mars 2054. Vienne. 17 h 24

L'horloge de mon bureau émettait un son régulier qui commençait à m'énerver profondément. Je sentais mon calme se dissiper progressivement, tandis que ma patience s'amenuisait. C'était presque comique, compte tenu de l'état d'esprit dans lequel je me trouvais il y a quelques jours, lorsque j'ai entendu pour la première fois cette mélodie.

C'était même la première mélodie que j'entendais dans ma vie, j'en étais certaine, je n'avais pas rêvé. Quelqu'un avait joué d'un instrument dans nos rues. Depuis plusieurs jours, j'ai fredonné une mélodie douce et apaisante, ne désirant rien de plus que de la réentendre. Elle m'obsédait, une soif insatiable de la redécouvrir et de la chanter à nouveau. Cette mélodie, si belle et enchanteresse à l'origine, était devenue dangereuse pour moi. Comment une telle merveille pouvait-elle disparaître ?

Je n'en avais pas parlé à Maël. Il n'aurait pas compris. Il aurait certainement voulu poursuivre l'individu contrevenant, le capturer et peut-être même faire pire. Cependant, j'aurais aimé la poursuivre pour tout autre chose, découvrir encore plus. Quelle forme la mélodie pouvait-elle prendre ? Autre que celle-ci ? Il y avait de la musique en bas ? De l'art ? En avaient-ils les moyens ? Les matériaux ?

J'avais trop de pensées intrusives, inadéquates pour cet endroit. Je devais me ressaisir, mais c'était au-delà de mon contrôle. Cependant, je savais que je devais oublier tout ça. Je devais continuer à m'améliorer, atteindre la perfection, vivre de façon impeccable. J'ai décidé d'adhérer à ce système qui nous protège depuis plus de quatre décennies. Je me suis plongée dans mon travail, refusant même les pauses coutumières de ces derniers jours. Je voulais mériter cette opportunité convoitée : un bon salaire, le respect des résidents, et surtout, celui des Majors du Cardinal.

Ils demeuraient 3 à ma mémoire, se retrouvant chaque année à la Tour Cardinal au centre exact de la ville de Vienne. C'étaient ceux qui nous guidaient ici, ils nous donnaient des idées nouvelles, des inventions et des machines encore plus perfectionnées pour nous éviter le manque de loisir. La technologie changeait les choses : c'était la science qui nous sauverait. 

Lorsque je voyais de ma fenêtre Maël et son coéquipier revenir au commissariat avec un rebelle à leurs côtés, mes pensées positives laissèrent place à une profonde déception. Je me remémorais toujours l'adolescent, les joues humides, le front couvert de sang. Il était essentiel pour moi de découvrir l'identité de la personne dont les miens étaient responsables du décès.

Joshua Payen. 14 ans. Fils de Marianne Payen, père inconnu. Il était né dans les tréfonds, sa mère n'avait apparemment jamais voulu qu'il s'éloigne d'elle et qu'il remonte à la surface, tout seul. Marianne Payen était seule désormais sous cette ville.

Ces faits réels me faisaient flancher et me rendaient ainsi. Je ne me sentais pas comme eux, je n'avais pas ce sourire, cette fierté de protéger la ville en enlevant la joie et la vie d'autrui. C'était extrême, et pourtant c'était notre réalité ; on refusait un ordre, c'était terminé. Nous étions virés. C'était ainsi que ça marchait, et tout le monde adhérait. Pourquoi pas moi ? Avais-je un problème ? Il était évident que je devais m'engager davantage dans mon travail. Peut-être que, si je m'y consacrais entièrement, j'y prendrais goût à mon tour. Par habitude.

Dans tous les cas, je devais y adhérer, par n'importe quel moyen. Tous mes efforts étaient en train de payer, je pouvais obtenir un poste bien meilleur, un confort devenu une banalité pour la plupart aujourd'hui, mais je pouvais l'offrir à mes parents aussi. J'ai cette chance de les aider, je ne peux pas la laisser passer. Je ne devais pas laisser ce genre de pensées me barrer le chemin d'un bel avenir. Après tout, on sait tous que le bonheur des uns fait le malheur des autres. C'était égoïste. Mais c'était nécessaire. Je regardais l'heure : 17 h 36.