Chapitre 8

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La ville qui se trouvait non loin de chez mon père n'était pas si grande. Il s'agissait peut-être de dix mille habitants, voire un peu plus. En tout cas, tout le monde se connaissait, et rien ne changeait vraiment.

Dans ce coin de pays, la nouveauté n'était que rarement la bienvenue. Si c'était discutable sur un certain nombre de points, j'appréciais tout particulièrement de retrouver les rues de mon enfance et les commerces qui se transmettaient de génération en génération.

J'étais venue sur un coup de tête, sans trop savoir pourquoi, mais alors que je remontais la grande rue, je pris une profonde inspiration. J'étais à la maison, c'était réel.

Rien n'avait bougé, de la fontaine de la grande place à la grande devanture du tailleur. La mode changeait, évoluait, mais le savoir-faire, lui, ne s'inventait pas. Les gens qui se trouvaient ici étaient de véritables maîtres dans la matière.

Le temps passé à San Francisco ne m'avait pas fait oublier la valeur des belles choses. Qu'il s'agisse de vêtements, de meubles ou même de pâtisserie, tout était bien meilleur quand c'était confectionné à la main.

Le temps ne pouvait être compressé, à moins qu'on veuille de la piètre qualité. Ça, les gens ne s'en rendaient pas compte avant d'avoir passé un petit moment à la campagne, là où l'industrie n'avait pas encore tout écrasé.

Ce genre d'endroit niche était riche d'une culture qu'on ne pouvait tout simplement pas imaginer sans l'expérimenter. Je m'en étais salement rendue compte en découvrant l'hypocrisie et le vide incroyable des grandes villes.

La chemise de mon père que j'avais enfilée par-dessus un débardeur s'envola quand le vent s'engouffra entre les bâtiments. Mince, même les odeurs m'avaient manqué. Si ça, ça n'était pas le mal du pays...
La jeunesse avait besoin de vivre, de découvrir, de faire des erreurs. Je n'avais pas manqué à la règle, mais j'avais fini par me trouver. Rien que ça, c'était un cadeau inestimable.

J'avais vu des gens se briser après avoir réalisé que les dizaines d'années qui venaient de s'écouler ne les avaient menés nulle part, que même après tout ce temps ils restaient vides. C'était un suicide de trop qui m'avait poussé à prendre du recul.

Mon taf avait été génial. Ou bien l'avais-je apprécié parce que j'avais réussi ? Je n'avais pas la réponse et, sincèrement, je n'avais pas envie de savoir. Ces quelques années m'avaient convenues, c'était tout ce que j'allais garder en mémoire.

Du reste, c'était la cuisine que j'aimais, qui me faisait vibrer, et pour laquelle j'excellais. Je prenais un risque en changeant du tout au tout de carrière, mais à quoi bon vivre si ce n'était pas pour ressentir quelque chose d'aussi intense que ce que je vivais à l'instant ?

Les yeux clos, je laissai un sourire étirer mes lèvres.

Ouais, j'étais bien, ici. Rien ne m'empêchait d'y ouvrir ma boutique, d'essayer de faire de ma passion mon boulot. Et puis papa me soutiendrait, et les gens du coin aussi. Tant que je donnais du mien, c'était faisable.

Un ballon solitaire, probablement perdu par un enfant qui ne tarderait pas à en être triste, accrocha mon regard. Jaune, il voletait doucement, s'élevant au-dessus de la fontaine qui ruisselait doucement pour passer derrière les toits.

Son avancée paresseuse, guidée par le vent, me tira un petit rire. Lui non plus ne savait pas où il allait, ou bien s'il allait rencontrer une tornade.

La seule chose dont on pouvait être certain, c'était du passé, de notre passé. Chacune de ces erreurs que j'avais faites, je ne les réitérerais pas. Le temps était à l'expérimentation, aux prises de risques, et à la joie.

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