Toujours ce même reflet dans le miroir accroché à ce mur lugubre. Ce corps que je n'arrive pas à reconnaître. Seize ans aujourd'hui que j'aurai dû mourir. Mais il a fallu que ce flic me sorte de l'incendie. Pourtant, les flammes avaient commencé leur travail, grignotant ma peau à plusieurs endroits. J'ai longtemps gardé ces traces pour me rappeler l'enfer d'où je venais. Comme une punition pour n'avoir pas su me libérer plus tôt.
J'ai encore en tête ces mots qu'il a prononcés avant de m'abandonner : tu lui ressembles trop, je ne peux plus te regarder. Raison suffisante pour m'envoyer dans cette maison avec le diable et sa démone. Par chance, la pièce où je vivais n'avait pas de miroir. Je ne pouvais donc pas haïr mon reflet. Seulement mon corps, qui en grandissant, prenait les mêmes courbes que ma mère, enfin d'après ce qu'il me disait, pour son plus grand plaisir.
Ensuite, il a fallu que j'apprenne à vivre avec cette peau rongée par le feu. Les médecins ont pourtant fait un très bon travail sur mon corps. Mais les greffes ne peuvent pas tout cacher. Ils étaient désolés de me dire que je garderai des traces, toute ma vie. S'ils savaient comme je m'en foutais. Je n'aime pas mon corps depuis l'âge de dix ans, et vingt ans après c'est toujours le cas.
J'attrape la brassière qui sert à cacher cette poitrine que je ne supporte pas. Pourquoi a-t-il fallu qu'elle ne brûle pas dans l'incendie ? Le sport et le peu de nourriture que j'absorbe me permettent de garder un corps fin et musclé, sans courbe voluptueuse. Mais cette partie-là reste toujours aussi arrondie. Putain de génétique ! J'aurai pu la faire réduire, mais cela signifierait aller à l'hôpital, fournir une identité. Et répondre à des questions.
J'enfile mon jean et mon pull à col roulé, aussi sombre l'un que l'autre. Le noir permet de passer inaperçu. Personne ne me remarque, ne s'attarde sur moi. Je n'existe pas, je suis un fantôme car Valentina a cessé d'exister le jour de ses quatorze ans.
J'attrape la petite boîte qui se trouve sur le bord du lavabo et l'ouvre. À l'intérieur, deux lentilles de contact bleues. Étape importante pour faire oublier ma ressemblance avec elle; ma mère. Ensuite, j'applique un trait d'eye-liner pour intensifier mon regard et le rendre plus profond, plus sombre, suivi d'un rouge à lèvres très foncé pour durcir mes traits. Je suis consciente que mon apparence peut surprendre beaucoup de gens, mais je m'en moque. Au moins personne ne vient m'emmerder.
Après m'être occupée de mon regard, j'attache mes cheveux châtains mi-long en chignon serré. Je fixe ensuite le bonnet de nylon permettant de les maintenir en place. Je tends la main vers la perruque posée à côté du lavabo. La dernière touche pour faire disparaître Valentina : un carré noir. Grâce à mes premiers gros gains, j'ai pu acquérir une nouvelle perruque faite de véritables cheveux. Impossible de savoir donc, que je me mens à la terre entière sur ma couleur naturelle. Je la place sur ma tête, la fixe, puis sculpte ma coiffure.
Dans le miroir, je laisse Irina apparaître. Tous les matins elle reprend sa place, pour me laisser dans ce studio. De toute façon, je ne pourrai pas survivre dans le monde extérieur. J'ai bien essayé, mais je n'ai jamais tenu très longtemps. C'est pour cela que je lui laisse la place le jour. Je reprendrais vie, lorsque je serais devant mon père et que je lui dirai adieu, en lui tirant une balle entre ses deux yeux. Mais pour que j'y arrive, je dois d'abord préparer le terrain. Ce que je fais, depuis bientôt cinq ans, dans l'ombre.
Je saisis mes clés de moto, abandonnées sur la table, ainsi que mon casque. Après un bref détour vers mon matelas pour récupérer mon pistolet - un Beretta que je glisse habilement dans mon dos - j'enfile rapidement un blouson et des boots.
Je consulte ensuite mon téléphone, jetable pour éviter d'être tracée, pour vérifier l'emplacement du rendez-vous : en plein cœur de Central Park.
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La vengeance de Valentina
RomantikComment vivre quand on a vécu six années de son enfance en enfer ? Comment aimer un corps que des bourreaux ont détruit ? Valentina a 30 ans. La mort n'a pas voulu d'elle le jour de ses 14 ans. Devenue invisible de tous, elle sillonne pourtant les r...