35. Voyages dans...

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- Bon écoute bien. Fixe-la dans les yeux et essaie de visualiser la barrière qui sépare vos deux esprits. Concentre-toi fort et essaie de la pénétrer. Me dit Carl.

Je n'arrête pas de penser à ce qui s'est passé la nuit dernière. Et Allan. Comment il va? Ses blessures lui font-elles mal. S'est-il réconcilié avec Tyson? C'est son meilleur ami après tout. Les disputes ça arrive, non? Puis on se demande pardon et on oublie tout, n'est-ce pas?

C'est de ma faute s'ils se sont battus hier. Tyson veut qu'Allan vienne me chercher et Allan ne veut pas. Peut-être que je devrais tout simplement y retourner. Mais je ne veux pas. Je veux rentrer chez moi, chez mes parents. Mais je me mettrais moi-même, ma famille et Allan en danger. Que suis-je sensée faire exactement? Rester ici sans rien faire? Comme si je me cachais? À apprendre à contrôler les animaux? Et alors? Quelle sera la suite?

- Concentre-toi! Je vois bien que tu es distraite.

Je reviens subitement dans la réalité et me rend compte que Carl était entrain de m'enseigner quelque chose. Je devrais peut-être fournir un petit effort et l'écouter.

- On arrête. Tu peux partir. Dit Carl.

- Non, ça va. Je veux réessayer. S'il-te-plaît.

Il ne répond pas mais je vois que dans son silence, il attend que je me mette enfin au travail.

Je regarde la tortue devant moi. Je la fixe du regard, espérant de tout coeur que le contact soit maintenu. Fixant ses yeux bruns, je me sens submergée par une énorme tristesse. Ne sachant pas quoi faire, je lui passe un message mental.

- Je te sens triste, petite tortue. Que t'est-il arrivé?

Ses yeux ridés me regardent avec un air fatigué et intense. Tout de suite après, je m'éffondre sur place. Mais mon esprit se sent aspiré dans une brume.
Une fois cette étrange transition terminée, j'ai comme l'impression de me retrouver dans la même forêt, mais cette fois-ci, le soleil a laissé place à des nuages sombres, et les arbres semblent avoir perdu toutes leurs feuilles.

Ne tenant pas à rester plantée au même endroit, je commence à marcher me dirigeant vers là où se trouverait normalement le petit village. En parlant de cela, je reconnais le grand arbre de cèdre qui, au niveau duquel je commencerais normalement à apercevoir notre maison.

Mais au fur et à mesure que j'avance, je suis continuellement surprise de l'absence de maison. Ce n'est qu'arbre après arbre. Je suis pourtant sûr que de là où je suis, j'aurais déjà commencé à voir le village. Je continue jusqu'au cèdre et dirige mon regard vers l'à gauche et comme pour les autres fois, notre maison n'y est pas.

Petit à petit, je comprend alors que mon voyage n'était pas d'un endroit vers un autre mais plutôt vers un autre temps. Je continue ma petite marche et aperçois une fumée s'élevant au dessus des arbres ce qui me fait sauter de joie. Parce que qui dit fumée dit feu. Et qui dit feu, dit présence humaine. Je me dirige dans la direction de la fumée, tout en continuant à me dire que ce n'est pas la première fois que je viens dans cette direction. Après sept minutes de marche, j'aperçois des maisons, ce qui me réjouit énormement. Courant cette fois-ci, j'arrive dans ce qui semble être un endroit habité.

- Je te préviens. N'ose même pas de la toucher.

- Non, cette gazelle est à moi.

- C'est moi qui l'ai fait venir ici.

- Je l'ai vue en premier.

- Tu la veux tout simplement dans ton assiette.

- Et toi tu veux lui faire tes expériences. De toute façon, elle finira par mourir comme tous les autres.

Je continue mon chemin, ne faisant pas trop attention à ces gens. Je sens que si je continue, j'arriverais à trouver quelques réponses. Sans m'en rendre compte, je bouscule quelqu'un, me risquant de tomber à la renverse mais l'individu me rattrape de justesse.

- Oups! Pardon, je ne vous avais pas vu, dis-je en me retournant pour faire face à l'inconnu. C'est sans voix et ne pouvant pas en croire mes yeux, que je me rendis compte que l'individu était en fait Carl. Mais il ne semblait pas m'avoir reconnu. Puisqu'il avait ensuite repris son chemin.

Je décidai de le suivre, tout en m'assurant de laisser une distance raisonnable entre lui et moi pour ne pas lever des soupçons. Et comme je l'avais imaginé, il se dirigeait vers la demeure du Chef Banga.
Mais bien sûre! Comment n'y ai-je pas pensé avant? Cet endroit mène au demeure du chef Banga. J'y entre doucement, m'efforçant de n'émettre aucun son. De là, je vois le chef Banga assis sur son trône semblant tout neuf, et deux autres hommes que je ne vois que de dos. Carl se plaça à côtés des deux hommes faisant face au chef Banga. Ne parvenant pas à entendre clairement ce qu'ils se disent, je décide de m'approcher un peu, me dirigeant du côté gauche. Mais à chaque pas, j'ai peur d'être découverte par l'un de ces hommes présents. Heureusement pour moi, j'arrive là où je voulais sans le moindre problème. Je me félicite mentalement d'avoir réussi. Ce mur me protégeant, je n'ai pas trop de risques d'être attrapée. Je m'émerveille aussi de me rendre compte que d'ici, les voix me parviennent nettement.

- C'est dangereux ce que nous faisons. À ce rythme, nous risquons de tuer tous les animaux.

- Tu exagères Carl. Ces petits tests ne sont pas aussi mortels.

Je ne suis pas sûre mais j'ai presque l'impression de reconnaître cette voix.

- Tu sais très bien que si. Ces petits tests comme tu les appelles ont déjà causé la mort de dix buffles, dix-huit cerfs, quinze coyotes, trois éléphants, seize gazelles, deux jaguars, vingt lièvres, cinq renards, vingt-et-un singes et quatre-vingt tortues. Et je suis presque sur que la liste est aujourd'hui plus longue puisque cela ne sont que les chiffres de la semaine passé, dit Carl avec une pointe d'énervement.

- Nous savions déjà les conséquences que cela engendrerait. On s'était mis d'accord. Et ce n'est pas maintenant que tu vas te défiler Carl. On va mener ce projet à bout. Une fois terminé, tu veras que ceci en valait la peine. Ce ne sera qu'un petit mauvais souvenir. Mais rien de plus que ça. Rien qu'un souvenir qui finira par s'effacer.

Il avait prononcé chaque syllabe avec tant de force et de colère. Comme si ses mots avaient une signification câchée. Je ne le voyais pas mais je suis presque sûr que l'on pourrait très bien voir sa haine se dessiner sur son visage en ce moment. Ma curiosité avait été piquée à vif. Je désirais tant découvrir qui étaient ces deux autres personnes. Je penchai alors ma tête un peu plus à droite pour mieux voir leurs visages, ce qui fut toujours impossible. Mais me décidai de rester ainsi, au cas où l'un se retournerait de ce côté.

- Figure-toi que les mauvais souvenirs, j'en ai beaucoup. Un peu trop même. Et je ne désire plus en rajouter, répond Carl.

- Carl, arrête de te comporter en trouillard et comporte-toi en homme. Tu sais bien que ce que l'on fait est pour le bien de tous, dit Tyson.

- Je ne me comporte pas en trouillard, je veux juste que vous vous rendiez compte d'une bêtise que nous faisons, soit disant pour le bien de tous. Nous sommes entrain de faire subir à ces pauvres animaux des tests et expériences pour mieux les contrôler et en masse. Et pour ensuite en faire une armée et pour qu'ils nous aident à trouver ce foutu arbre. Mais ce que vous oublier c'est que la relation entre l'animal et le muhinga de notre clan se fait doucement, chacun à son rythme. Elle ne se force pas. C'est normal que ça prenne cinq mois ou dix ans. C'est normal si nous n'arrivons pas à créer ce lien tout de suite. On doit attendre. Nous devons être patients et laisser les choses se faire d'elles-mêmes. En imposant notre intervention par tes produits Allan, nous les tuons. Nous sommes entrain de les exterminer et à un très grand taux. Et cela retombera contre nous puisque nous avons besoin de ces animaux. Nous sommes le clan Bikoko. Notre réputation a toujours été de vivre harmonieusement avec tout animal. Ils nous aimaient et nous de même. Nous les protégions et vice-versa. Nombreuses sont les fois où un animal a donné sa vie pour sauver celle de son partenaire-muhinga ou de sa famille. Les tuer, c'est comme tuer une partie de nous-même. Comment ne peux-tu pas comprendre cela, Tyson?

Ainsi donc, il s'agit de Tyson et d'Allan. Mais que font-ils ici? Et que fais-je ici? Pourquoi suis-je ici? Et surtout, combien d'année suis-je retournée en arrière?

- Il arrive que l'on soit obligé de faire des sacrifices, dit Tyson.

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BUHINGAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant