Chapitre 5

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11 Juin 2023


Harry se réveille doucement. Vraiment doucement parce qu'aujourd'hui c'est dimanche. Soit le pire jour de la semaine. La majorité des anglais considèrent que c'est le jour du Seigneur mais Harry est persuadé que c'est la plus grosse connerie inventée par l'espèce humaine. Comment un jour consacré à la famille peut tomber sur le jour du Seigneur ? Rien de pire que la moindre seconde passée en famille. Harry vendrait son âme au diable pour échapper à ce jour de malheur. ll déteste beaucoup de choses sur cette planète, les séances avec Malik, le concept de couple, les chats blancs, les gens qui poussent dans le métro. Mais les repas dominicaux dépassent tout, et de très loin. Il passe toujours un mauvais moment et la bouffe n'est pas si bonne que ça, comment c'est possible bordel ? Son beau-père est putain de riche mais il est incapable de sortir quelque chose de mangeable le dimanche. Aujourd'hui est un peu particulier car les enfants de Bouboule seront de la partie. Et donc comme ces connards de bobos viennent, il doit en plus se taper le brunch. Il est donc attendu plus tôt qu'habituellement. C'est-à-dire à midi tapantes. Sa mère a insisté sur le "tapantes", elle le connaît bien, lui et son retard légendaire. Mais toutes les conditions sont réunies pour qu'il arrive en retard. En tout cas, il ne va pas se presser.

Pris d'un remord, parce que c'est quand même Bouboule qui paie le loyer, Harry finit par sortir de son appartement cinq minutes en avance. Il a revêtu son pantalon à pince noir et une chemise noire aussi, mais légèrement transparente. Parce qu'en plus de se coltiner toute la famille, il doit arriver en costume, guindé comme un putain de serveur. "Appartement, pense à ton appartement tous frais payés", songe Harry pour se convaincre de poursuivre sa route. Il fait le trajet à pied, la musique pulsant dans son casque. Il aurait pu accepter l'offre de son beau-père, c'est-à-dire, de bénéficier d'une voiture et d'un chauffeur personnel pour ses déplacements dominicaux. Mais plutôt crever que de se comporter comme une personne qu'il n'est pas. Son beau-père, tendrement surnommé bouboule, initialement prénommé Richard est le gérant d'un fonds d'investissement. Autrement dit, il a la main basse sur la City et doit sûrement être plus riche que la Reine d'Angleterre. C'est lui qui fait la pluie et le beau temps. Dommage qu'il n'ait pas décidé d'user de son influence pour interférer dans son procès et annuler son jugement. Mais il se trouve que Richard est le plus intègre homme d'affaires que porte cette terre. Harry suspecte aussi sa mère d'avoir interdit Bouboule d'intervenir. Elle devait jubiler de voir Harry enfin puni par la loi, elle qui l'avait mis en garde tant de fois par le passé. Elle oubliait un peu vite qu'elle avait un rôle majeur dans tout ce cirque. Mais soit...

Harry, ayant donc refusé le luxe d'un chauffeur privé, se pavane tranquillement dans les rues londoniennes déjà fourmillantes. Il repense à sa drôle de rencontre d'hier, Louis. Il ressent des sentiments tellement contradictoires à son égard, un brin de fascination et une goutte d'irritation. Si Louis n'était pas doté de la parole et s'il pouvait juste faire de la figuration, ça serait parfait. Une raison pour laquelle Harry n'essaye pas d'étendre son cercle d'amis; il supporte très peu de monde et un rien l'énerve. Il arrive déjà à supporter Niall et Adèle, ce qui relève de l'exploit. Il se dit quand même qu'il va laisser une nouvelle chance à Louis lundi. Après tout, il va devoir l'aider le premier jour, il devra bien faire preuve de sympathie ou à minima d'amabilité -si tant est qu'il puisse en faire preuve. Toutes ses pensées le portent au métro, il ne va pas faire tout le chemin à pied jusqu'à Notting Hill. Oui parce que Bouboule est le parfait cliché anglais, il a une maison dans le quartier de Notting Hill où il reçoit généralement le week-end. Richard a une garçonnière qu'il habite en semaine dans le quartier Knightsbridge. Sa mère étant devenue mère au foyer passe son temps à Notting Hill pour jouer son rôle d'épouse parfaite. Harry sait que sa demi-sœur passe le plus clair de son temps à Knightsbridge. C'est aussi un cliché. Bouboule a longtemps insisté pour qu'Harry les rejoigne dans son appartement de Knightsbridge car « c'est une super opportunité de créer un lien fraternel avec Julia » . Harry avait failli s'étouffer face à cette proposition. Quelques mois auparavant, il avait été viré de la maison de Notting Hill par sa mère pour avoir trop embêter la gosse. Face aux hurlements d'indignation de Julia, Richard avait alors proposé de lui payer son appartement en contrepartie des déjeuners dominicaux pour tenter d'apaiser les tensions. Harry avait joyeusement accepté le deal, mais il ne savait qu'il avait signé son arrêt de mort. Les dimanches sont un vrai supplice. Parce que les conditions ne s'arrêtent pas à sa présence le dimanche midi. Il doit également montrer sa bonne foi envers tous. Bref, les midis sont longs, très longs.

COUPABLES (L.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant