Sacrifice

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Nassir

Le plan était simple.

Je devais me lever à l'aube, me faufiler dans la chambre de Layla, la réveiller et la faire sortir en douce du palais avant que les soldats de la reine ne m'escortent au port ou je monterai sur un navire direction Esma sans espoir de retour avant au moins six mois. Mais je refusais de perdre foi car, encore une fois : le plan était simple.

L'aube pointait à peine à l'horizon que je passai déjà ma tunique de voyage, attrapai le sac de toile que j'avais préparé la veille pour ma cousine et me glissai hors de ma chambre en soupirant devant les gardes endormis censés assurer ma sécurité. Je notai de ne toujours dormir que d'un œil et de garder une arme près de moi, compte tenu que je ne pouvais manifestement pas me reposer sur mes gardes.

Mes pas résonnaient dans le couloir vide et mon cœur battait plus vite à chaque fois que mes pieds touchaient le sol. La faible lueur de l'aube filtrait entre les longs rideaux de soie et inondait la blancheur immaculée autour de moi. Les lustres brillaient faiblement sous la lumière blafarde et le palais semblait se réveiller sous la douce caresse de ses rayons. Ce dernier était d'ailleurs de moins en moins silencieux au fur et à mesure que je progressais dans ses couloirs dorés. Les cuisines devant lesquels je me hâtai de passer s'agitaient et le tintement des casseroles, des services et de la vaisselle me parvenait. Je traversai tête baissée, les poings crispés sur les sangles de mon sac, l'imposante Salle des Fontaines où le clapotis reposant de l'eau et la douce odeur des citronniers en fleurs me firent tourner la tête, pour enfin atteindre mon but.

La chambre de Layla se situait dans la luxueuse mais, ô combien dangereuse, aile des courtisans.

Là, étaient rassemblés les pires manipulateurs, menteurs, comploteurs, hypocrites et meurtriers de tout l'Empire. La hautes noblesse d'Adrisia, son aristocratie et ses conseillers royaux.

Ma cousine, elle, était la douceur et la loyauté incarnée. Elle avait toujours quelque chose de réconfortant à dire dans les moments les plus sombres. Toujours une main pour serrer la mienne quand l'angoisse me gagnait et toujours une épaule sur laquelle pleurer quand les évènements me dépassaient. Elle était ma raison de vivre depuis la mort de ma sœur.

Une rose unique parmi les innombrables ronces.

Et cette rose méritait d'être sauvée, elle méritait tous mes sacrifices, elle méritait ce que je m'apprêtais à faire.

C'est ce que je me répétai encore et encore, comme un mantra, tandis que je m'avançai, la boule au ventre dans le long couloir bordé d'innombrables portes dorées. Les poings serrés en une tentative désespérée de contenir la panique qui enflait en moi à chaque pas me rapprochant de ma cible : le garde se tenant, bien droit, devant les appartements de ma cousine. Ravalant mon mal de ventre et ignorant les gouttes de sang qui perlaient sous mes ongles, je me plantai devant le jeune homme, un sourire enjôleur aux lèvres. Il me dévisagea, méfiant et soutint mon regard intensément. Je ne me laissai pas déstabiliser et, repoussant toujours la panique, passai ma langue sur mes lèvres d'une façon que je voulais attirante. (pdrrr) Le garde resta de marbre mais je vis une lueur vaciller dans ses beaux yeux bleus. Résistant à l'envie de partir en courant, je fis l'opposé et m'approchai, réduisant ainsi l'espace entre nous de quelques centimètres bien significatifs. La ligne étant franchie entre le simple échange de regards et la véritable demande. J'attendis, mon sourire toujours plaqués sur mon visage et les yeux passant de sa gorge à ses lèvres de manière évidente. J'avais conscience du ridicule de la situation mais tentai de me persuader que le jeune homme se laisserait entraîner dans un baiser importun avec un inconnu sans trop s'arrêter sur les circonstances.

Il le fallait. Pour la réussite du plan.

Après ce qui me sembla durer une éternité, le garde finit par céder et son visage de marbre se fendit d'un léger sourire ponctué d'un rire rauque et, en un instant, ses lèvres fendirent sur les miennes.

Surpris par la rapidité de son initiative, j'eus un mouvement de recul mais me rattrapai très vite en enroulant mes doigts derrière sa nuque pour l'attirer à moi et lui rendre son baiser. Le garde fit courir ses mains dans mes cheveux et je l'imitai, tirant sur ses mèches blondes tout en enserrant sa taille. Puis, quand son corps se retrouva plaqué contre le mien, hanches contre hanches et souffles mêlés, je glissai ma langue entre ses lèvres et plaçai la petite pilule blanche, que je cachais contre mon palais, entre ses dents avant de me détacher brusquement et de lui donner une légère tape sur la joue.

Mon cœur se souleva et mon ventre se tordit quand j'entendis le petit bruit que fit la capsule en cédant sous les dents du jeune homme et que je vis la grimace qui tordit ses traits quand la poudre fatale se répandit sur sa langue. Il serra les lèvres et porta la main à sa gorge, désespérément en quête d'air. Il commença à tituber et ses yeux convulsèrent dangereusement alors que je passai un bras sous les siens et le soutenai jusqu'au prochain banc d'éternel marbre froid avant de l'y abandonner, l'estomac lourd et la gorge nouée par l'angoisse qui me gagnait lentement, en me répétant que, s'il l'avait connue, ce garde serait d'accord sur le fait que Layla le méritait.

Elle méritait son sacrifice comme elle méritait le mien, me répétai-je en vomissant dans la poubelle la plus proche.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant