Charme esmian

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Nassir

Esma.

La cité du désert, la ville aux mille et une merveilles, la capitale dorée. Ses immenses dômes de laiton, ses rues étroites mais pleines de vie, ses marchés à ciel ouvert abritant tous les trésors que la Daevie possédait : bijoux scintillants, soies légères, lampes de cuivre, ceintures brodées de fils précieux et beaucoup, énormément d'épices. Cumin, safran, menthe, thym, cannelle, poivre et sel du désert, aucun des précieux ingrédients typiques de la cité ne manquait à l'appel tandis que nous traversions Baït Shahawa, le célèbre Quartier des Délices. 

Émerveillé tel un enfant devant les étals colorés, les métaux précieux et le brouhaha tumultueux de la foule qui se pressait dans ses rues parfumées, je traînai les pieds, désireux de ne rien perdre du spectacle burlesque qui s'offrait à moi. Je n'avais jamais rien vu de tel.

Adrisia avait beau être une cité magnifique, tout en hauts palmiers, senteurs citronnées et bâtiments immaculés, j'avais la certitude que rien n'égalerait plus jamais à mes yeux la prestigieuse cité du Cham telle que je la découvrais à présent.

Tout y était si différent...

Ici, pas de gardes en lourdes armures patrouillant dans les rues -bien trop bondées d'ailleurs pour qu'un quelconque sens de l'orde y soit respecté- pas de cris poussés par les marins et les pêcheurs vendant leurs poissons frais sur le port, mais une clameur assourdissante de divers marchands hurlant au plus offrant et ventant les mérites de leurs précieuses marchandises. Ici, pas de bruit continuel et berçant de vagues s'écrasant sur les rochers, faisant souffler une légère brise marine, mais un air lourd et sec, des tourbillons de sable et de poussière venus du désert et une chaleur étouffante quoiqu'étrangement réconfortante.

Après à peine quelques minutes dans ses rues mouvementées et plongé dans sa magie envoûtante, je décidai que j'aimais Esma plus que je n'avais jamais pu en dire pour Adrisia en presque trente ans d'existence. La cité qui m'avait vue naître n'égalerait jamais celle qui m'avait tout pris... Son charme légendaire m'avait décidément envoûté.

Pourtant, mon cœur était vide et un vent froid soufflait entre mes côtes, me déchirant de l'intérieur.

J'avais perdu Rhiya, une nouvelle fois. J'avais été si près de retrouver la seule famille qu'il me restait, de retrouver un repère dans cet endroit si loin de tout ce que je connaissais, si près de retrouver foi en la vie...

Mais cette chance comme cette foi étaient perdues à présent. Il n'y avait rien à faire, si ce n'était me morfondre et pleurer. Sauf qu'à l'instant, l'heure n'était pas au deuil -bien que je refusais de le nommer ainsi.

-Ibn'Yusuf !

Je me retournai vivement, mes pensées balayées par la voix dure de Sinan, trottant pour me rejoindre, sa lourde armure troquée contre une tunique plus légère et plus simple, seulement brodée de l'éternel écusson royal et ses mèches blondes, libres de toute entrave si ce n'était une fine lanière de cuivre retenant son chignon lâche. Je ne pus m'empêcher de remarquer combien il semblait plus heureux, plus libre sans le poids de son armure sur le dos. Sa tunique le sublimait, accentuant ses larges épaules et les muscles de ses bras, éclaircissant son visage de par sa couleur sombre et lui donnant un air léger, presque décontracté pour un garde royal.
Mais je ne me laissai pas berner.
Sinan, même affublé d'une tenue esmianne, les cheveux au vent et le regard doux, restait Sinan. Le garde aux côtés de qui j'avais pratiquement grandi et qui n'avait jamais manqué une occasion de me reprendre, encore plus maintenant qu'il était assigné à ma sécurité pour les six mois avenir.

-Combien de fois vous ai-je dis de ne pas trop vous éloigner, nous allons finir par vous perdre dans cette pauvre décharge chaotique que les gens de l'ouest -maudits soient-ils- appellent un « marché », grommela-t-il, les sourcils froncés et le souffle court.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant