Le garde

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Siham

L'avenue des Reines hurlait autour de moi.

Les visages des centaines d'inconnus venus des quatre coins de la Daevie pour soutenir leur cité dans ce tournoi absurde m'oppressaient. J'avais la désagréable impression qu'ils me fixaient, qu'ils voyaient clair en moi, décelaient mes ignobles fêlures et ma faiblesse accablante...

Je chassai ces pensées en secouant légèrement la tête ; je ne savais que trop bien où elles pouvaient me mener si je le leur permettais.

La foule n'était pas aussi dense que d'habitude et bien que la file dans laquelle je patientais fut longue, j'en voyais déjà le bout. Je sondai les visages autour de moi, tentant de deviner qui me rejoindrait dans l'arène.

La veille au soir, une fois la peur et la colère dissipées, j'avais pris une décision : je descendrai dans cette arène la tête haute et y mourrai, l'épée à la main s'il le fallait. Je ne me cacherai pas, ne m'enfuirai pas, j'affronterai mon destin les yeux grands ouverts. Car s'il me restait bien une chose dans l'enveloppe vide et meurtrie qu'était devenu mon corps, c'était mon honneur.

-Siham Rania Saif.

Je sursautai, et m'avançai, la gorge nouée mais le dos bien droit et le regard dur. C'était enfin mon tour.

-Je vais vous demander de signer en bas de cette page puis de suivre mon collègue qui vous conduira à vos appartements où vous pourrez vous rafraichir avant de descendre rencontrer Sa Majesté et les autres participants. Avez-vous des questions ?

Je fixais le visage carré de la femme aux cheveux grisonnants, entre deux âges et à la mine morne qui me faisait face, son regard se perdant au loin sans jamais rencontrer le mien.

-Non, aucune.

Ma main me parut lourde quand j'écris mon nom, en petite lettres étroites, du mieux que je pus à l'aide mes piètres aptitudes en écriture. Puis, je relevai la tête pour croiser le regard du garde qui m'escorterait. Il m'adressa un faible sourire et, malgré moi, quelque chose dans ses grands yeux brillants me poussa à le lui rendre faiblement.

-Je m'appelle Yanis Ibn'Tina, je serai votre garde et guide durant toute la durée de votre séjour au palais de Sa Majesté. Mon épée est vôtre et, si les circonstances l'exigent, je n'hésiterai pas à mettre ma vie en péril pour votre sécurité.

-Descendrez-vous aussi avec moi dans l'arène pour m'y protéger ? Lançai-je, sans réfléchir et d'un ton plus mordant que souhaité.

Il marqua une pause, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés et sembla soudain si jeune -peut-être pas plus vieux que moi- que je me radoucis et lui adressai un autre de mes rares sourires. Il se détendit, lui aussi et fit mine de comprendre la prétendue plaisanterie. Son beau visage s'illumina à nouveau.

-Allons-y.

***

Je n'avais jamais rien vu de tel que l'intérieur du palais royal d'Esma. Même celui, légendaire, d'Adrisia ne pouvait rivaliser avec la beauté de ces lieux.

À la place de l'éternel marbre froid, le sol était entièrement constitué de zellige (sorte de mosaïques) faisant harmonieusement honneur aux couleurs de la capitale et propageant une sensation de chaleur et de sérénité bienvenue.

Les odeurs prononcées d'épices présentes au dehors avaient disparu, remplacées par un mélange agréable de sauge et de miel. Les tapis brodés, le mobilier ancien et les dorures ornant les murs avaient beau être magnifiques, rien n'égalait le grand dôme de la salle du trône.

Son immensité mordorée m'aurait étouffée si elle n'avait pas été tout simplement époustouflante. Tout autour de moi était uniquement constitué d'or et baigné d'une lumière rougeâtre. L'ambiance différait furieusement de celle de l'austère et froide grande salle d'Adrisia, mais en était-elle vraiment meilleure ?

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant