Chère Layla

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Layla

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Layla

Quand Layla embarqua sur le Grand Lys quelques heures après avoir quitté les murs du palais où elle avait toujours vécu, le soleil se levait, teintant le ciel de rose et d'or et offrant un contraste douloureux avec ses sentiments déchainés.

Quelques heures seulement s'étaient écoulées depuis qu'elle avait étreint Nassir pour la dernière fois mais le manque semblait déjà ancré en elle depuis des décennies, enserrant son cœur de ses sombres tentacules et pesant sur sa poitrine tel de lourdes chaînes.

Nassir lui manquait atrocement.

Elle le détestait.

Elle l'aimait.

Elle avait envie de hurler, de déchirer la stupide lettre qu'elle avait trouvée dans son sac et qu'elle n'avait pas encore eu le courage d'ouvrir.

Mais tandis qu'elle fixait la ville d'Adrisia se faire de plus en plus petite à mesure qu'elle s'éloignait du port -et de Nassir- elle en ressentit le besoin soudain et déchira l'enveloppe.

Un parfum de jasmin et d'agrumes envahit la pièce.

Layla prit une grande inspiration, se sentant défaillir. C'était toute sa vie qu'elle laissait derrière et cette lettre en était le seul vestige. Elle augmenta la flamme de sa lampe à huile et commença à lire.

Chère Layla,

Il est tard et je ne sais trop comment mettre tout ce que je ressens sur papier sans écrire un roman, de ceux que tante Samya nous lisait le soir et qui remplissait les étagères de la bibliothèque. Mais, même si j'en avais l'intention, je n'aurais ni le temps ni le talent d'écrire pareilles histoires. Je ne suis pas un héros et je ne saurais de toute façon même pas par où commencer...

Je ne prétends pas savoir ce qui est le mieux pour toi et n'oserais jamais m'en croire capable. Mais je suis néanmoins persuadé de prendre la bonne décision en t'éloignant de ce palais avant mon départ.

Sache que je ne souhaite rien de plus à l'instant que de pouvoir partir avec toi demain, sillonner les contrées lointaines qui forment la Daevie, dormir à la belle étoile, apprendre des langues et des coutumes toutes plus étranges et merveilleuses les unes que les autres et goûter à tous les plats savoureux que l'on sert au-delà des limites de l'Empire.

Je sais que tu dois probablement me détester à l'heure qu'il est et me maudire copieusement -comme tu sais si bien le faire- mais je suis convaincu que, peu importe les insultes que tu me craches ou la haine que tu me voues, tu sais aussi bien que moi que le jeu n'en valait pas la chandelle. Nous serions rattrapés et mis aux fers avant d'avoir pu voir la couleur des Mers du Sud. Je te demande donc d'être raisonnable et de t'éloigner le plus vite possible de la capitale pour commencer à vivre réellement pour la première fois de ta vie ; loin d'Adrisia et de son palais de marbre, loin de la reine et de ses valets, loin de la princesse et de ses machinations, et loin de moi, puisque c'est le prix à payer pour ta liberté.

Je pars demain pour Esma et bien que la reine m'assure que je serai de retour dans six mois, je ne sais si je dois la croire. Pour des raisons de sécurité, je me suis interdit d'apprendre ta destination, mais je voudrais tellement pouvoir t'écrire. Je voudrais pouvoir te conter la mythique cité du désert. Les couleurs chaudes et les effluves épicées, les lanternes de fer forgé, les tapis aux motifs complexes et les caftans brodés. Tout ce que l'Empire nous a appris à détester mais que nos âmes d'enfants ont toujours rêvé de voir. Demain j'irai par-delà les mers et à travers le désert du Cham, plus loin qu'aucun d'entre nous n'a jamais mis les pieds, et je réaliserai ce rêve tandis que de ton côté, tu navigueras sur le Grand Lys en direction de terres inconnues, portée par le vent de la liberté.

Cette idée me fait sourire.

J'aime imaginer à quoi ressemblera ta vie après tout ça. Les lointaines contrées que tu visiteras, avec pour seul bagage mon sac de toile. Peut-être trouveras-tu un jeune homme ou une jeune femme qui t'aimeras comme tu le mérites et peut-être trouveras-tu le bonheur à ses côtés. J'aime imaginer la petite maison colorée que vous auriez, au fond d'une forêt enchanteresse, au milieu d'un lac scintillant ou au cœur d'une ville animée...

Oui, il m'est doux d'imaginer l'avenir qui te sera offert quand tu quitteras enfin le palais.

Promets-moi d'en profiter. Promets-moi d'en chérir chaque instant, de continuer de répandre la lumière partout où tu iras, de rire, plus que de raison, de sourire à chaque enfant que tu croiseras, et de partager avec eux les histoires de nos livres préférés.

Surtout, promets-moi d'aimer, aussi fort et aussi bien que nous t'avons aimée et t'aimerons toujours, Nadia et moi.

Tu es ma rose parmi les ronces.

Nassir.

***      

Une larme roula sur la joue de Layla, glissa le long de sa mâchoire et vint s'échouer sur le papier rêche de la lettre. Une deuxième s'écroula quelques millimètres plus loin et se mêla à l'encre de la signature.

La jeune femme les chassa, se leva et plia soigneusement le papier avant de le ranger dans son corset, tout près de son cœur. Elle jeta un coup d'œil par le petit hublot de la cabine et constata, le cœur serré, que sa ville n'était plus qu'un point noir à l'horizon au-dessus duquel tournaient les mouettes, leurs cris se mêlant mélancoliquement au roulement des vagues sur les rochers. Et, bien que le soleil soit haut dans le ciel, le monde dans lequel elle se lançait lui sembla soudain bien sombre.

Elle ferma les yeux et porta la main à sa poitrine, où reposait la lettre de son cousin, puis s'autorisa à laisser les larmes ruisseler sur ses joues et emporter dans leur sillage étincelant la douleur déchirante de son âme.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant