L'arène

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Siham

Durant les nuits d'insomnie qui avaient précédé mon entrée dans l'arène, j'avais eu le temps d'imaginer beaucoup de choses à son sujet. Mais l'arène, telle que je la percevais à présent, ne ressemblait en rien à ces images fantasmées.

Tout y était clair, trop clair, presque aveuglant. Le blanc des murs, celui des sièges et même du sable sous nos pieds appelait à être sali, par notre sueur et notre sang. Les gravures d'argent, d'or et de nacre couraient sur les parois immaculées, scintillant sous les puissants rayons du soleil. Des roses pâles et des feuilles de menthe fraîches embaumaient l'air de leur parfum doucereux.

Tout autour de nous, placés de façon circulaire contre les murs blanchis à la chaux, des dizaines de braseros abritant des flammes aussi blanches que la neige des Pranast réchauffaient ce même air et lui apportaient les effluves sauvages du feu. Des bouquets, des guirlandes, des rubans et des bannières colorées se joignaient au décor, ajoutant à l'outrance de la situation.

Une arène ou une salle de mariage ? J'avais du mal à voir la différence. Tout semblait fait pour donner une atmosphère festive mais l'exagération poussait au malaise. Et, connaissant les goûts de la reine en matière d'accueil, peut-être était-ce justement le but.

Toute cette blancheur aveuglante ne cessait de me rappeler cruellement celle du palais d'Adrisia, mais je me fis violence et repoussai les souvenirs atroces qui s'imposaient à moi. Pour le moment, rien ne m'importait si ce n'était de survivre. Non pas au danger des lames et des poings qui ne tarderaient à s'abattre sur moi, mais bien à celui de la panique qui enflait en moi en entendant le bruit assourdissant de la foule scander les noms de leurs Élus, lesquels rugissaient de concert à mes côtés.

Les cris de ladite "foule" -qui, tout compte fait, avait plus l'allure d'un regroupement sauvage que d'autre chose- menacèrent d'ailleurs d'avoir raison de moi tandis qu'elle grossissait à vue d'œil, remplissant les gradins déjà saturés et hurlant à m'en lacérer les tympans.

Je haïssais tout ce monde. Il me donnait envie de disparaître et de partir, loin, pour ne jamais revenir. Je pouvais supporter bien des blessures, rester des jours, voir des semaines entières en mangeant à peine, me battre jusqu'à ce qu'il ne reste de moi qu'un tas de chair informe et sanglant ; mais s'il y avait bien une chose qui me terrifiait, c'était la présence d'autant d'êtres humains surexcités et compétiteurs au même endroit. Fixant leurs grands yeux fous sur moi, scrutant chaque parcelle de mon corps découvert sous ma robe -qui me sembla d'ailleurs bien légère- et hurlant insultes comme encouragements en masse désordonnée. Je haïssais la panique que cela provoquait en moi, la faiblesse que je ressentais. J'avais hâte qu'on en finisse pour que je puisse enfiler une tenue de combat et montrer que j'étais plus qu'un corps et un visage balafré. Montrer que je méritais mon titre de Guerrière Élue et libérer la rage et l'inconfort qui m'habitaient.

Mais en attendant, il me fallait encore endurer la longue cérémonie d'ouverture sur le point de commencer et dont nous étions -mes adversaires et moi- le centre d'attention.

Le brouhaha de l'assemblée se calma quelque peu quand la reine et les autres souverains firent leur entrée, soulageant mes oreilles et ma tête épuisées. Je levai le regard, suivant le mouvement collectif, en direction du balcon sur lequel se tenaient à présent toutes les têtes couronnées et les plus grandes fortunes du continent, aux côtés de leur cheffe suprême : Tasnîm Al-Taheb.

Si sa beauté et son charisme m'avaient intimidée par le passé, jamais je ne m'étais sentie aussi insignifiante devant elle qu'à l'instant. Du haut de ses quelques six mètres d'altitude, elle nous toisait dans un étrange mélange de tendresse et d'autorité. Son apparence n'avait pas changé depuis qu'elle avait quitté les sous-sols quelques instants plus tôt, mais pourtant, tout en elle semblait transformé. De la pointe de ses ongles peints à l'extrémité de ses cheveux tressés : elle rayonnait. C'est pourquoi, quand elle leva légèrement la main pour réclamer le silence, il ne fallut pas plus d'une fraction de seconde à la foule pour se taire. Quand elle prit la parole, ce fut de son éternel ton monocorde et puissant.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant