L'heure des adieux

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Siham

Si l'on m'avait annoncé un jour que je me réveillerai sur le sol du palais royal, aux côtés d'un Ghul encore assoupi et secouée par le garde que j'avais commis l'erreur d'embrasser la veille, j'aurais probablement éclaté de rire. Pourtant, la situation n'avait rien de comique.

-Siham ! Qu'est-ce que vous fichez sur le sol bon sang ?! Vous avez de la chance qu'on ne vous ait pas trouvée là, c'est...

Je coupai ses vociférations, les yeux plissés et les membres douloureux.

-Oh Yannis cessez de brailler je vous en prie ! Avez-vous la moindre idée du mal de tête que vous m'infligez ?

Il se tut et recula quand je dégageai sans ménagement sa main qui tenait toujours mon épaule. Prenant quelques mètres de distance pour me laisser la place de me lever, il serra à son tour les paupières et se pinça l'arête du nez tout en soupirant d'exaspération.

-Oh vous... vous êtes impossible, finit-il par grogner, clairement à bout.

Je lui décochais un regard noir mais retint la remarque qui me brûlait les lèvres. Je n'avais sûrement plus beaucoup de temps à passer avec lui avant de descendre dans l'arène et ne tenait pas à le perdre en querelles inutiles.

Voyant que je ne répliquais pas, il reprit en un soupir.

-Habillez-vous en vitesse, Sanaa et les autres vous attendent déjà en bas.

Je hochai la tête en me retenant de jeter un coup d'œil à Degan qui se réveillait derrière moi. J'avais beau savoir que le voile le rendait invisible et qu'il était improbable que Yannis ait comme moi le don de voir les Djinns, j'avais quand même la désagréable impression d'être complètement folle et seule à imaginer une créature invisible qui remplacerait le père que je n'avais jamais eu.

-Siham...

Je sursautai.

-Vous n'êtes toujours pas parti ? Je croyais qu'on m'attendait et que je ferais mieux de me changer au plus vite ; chose que je ne peux pas décemment faire devant vous.

Les joues de Yannis s'empourprèrent et je sus qu'il repensait au baiser de la veille et à combien de règles protocolaires nous avions alors dû violer.

-Non, bien sûr que non, loin de moi l'idée de... bredouilla-t- il. Mais je... Siham, c'est sûrement la dernière fois que nous aurons l'occasion de parler avant que...

Il ne finit pas sa phrase mais je hochai la tête.

Avant qu'on ne me pousse dans une arène pleine de gens prêts à tout pour m'achever et au fond de laquelle je serais chanceuse de tenir une journée entière.

L'heure des adieux semblait avoir sonné. Mais ni lui ni moi ne savions alors quoi dire. Cela faisait à peine deux jours que nous nous étions rencontrés. Deux jours que j'avais passés presque intégralement en sa compagnie et qui, sans lui, m'auraient semblés bien plus longs et pénibles. Pour cela, je lui en étais reconnaissante.

Et puis il y'avait le baiser.

Un moment de passion provoqué par la solitude et la confusion, rien de plus et nous le savions tous les deux. Toutefois, les mots restaient bloqués au fond de ma gorge, refusant de sortir et d'accepter ainsi la réalité. Yannis serait sûrement une des seules personnes qui prierait pour moi aujourd'hui et je ne savais pas si cette information me réjouissait ou au contraire m'attristait. Tout ce que je savais, c'était que je ne voulais pas mourir devant les yeux de ceux qui m'aimaient.

-Ça ne voulait rien dire, hier soir.

J'avais parlé sans réfléchir et mes mots étaient tranchants dans l'espoir de repousser leur destinataire et de l'éloigner de moi avant qu'il n'ait à me regretter. Car c'était ce qui arrivait toujours : tous ceux qui s'approchaient un peu trop de moi finissaient par en souffrir. J'étais nocive et s'il me restait une seule bonne action à accomplir avant de quitter ce monde, c'était bien d'éloigner mon jeune garde et ses magnifiques sourires le plus possible.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant