Retrouvailles

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Nassir

Adrisia ne fut très vite plus qu'un minuscule point noir à l'horizon que j'observai depuis le pont du bateau qui m'emmenait loin à l'Ouest, dans la cité de tous mes rêves et cauchemars.

Le soleil poursuivait sa course glorieuse dans le ciel et baignait mon visage d'une chaleur réconfortante. Le cri des mouettes s'éloignait lui aussi et bientôt, il ne resta que les vagues léchant la coque du navire pour briser le silence

L'air marin me fouettait les joues et ses effluves salées me picotaient les narines pour la dernière fois avant longtemps, réalisai-je avec une pointe de nostalgie précoce. Bientôt, la chaleur sèche et le vent chargé de sable du désert viendraient les remplacer...

Si Adrisia, ses palmiers, ses citronniers, ses murs de marbre et ses élégants dômes dorés me manqueraient, il n'en irait certainement pas de même pour son immense palais immaculé, ses horribles fleurs de Lys et ses fourbes habitants.

Esma m'en libérerait

***                                                                                

Le lendemain matin, le port bondé de la zone commerçante d'Asinare apparut au loin. Je fus réveillé par les cris de l'équipage se préparant à accoster. Les innombrables échoppes colorées de la côte se précisèrent à mesure que nous approchions. Je passai une tunique simple, lançai mon sac sur mon épaule et m'attardai quelques secondes sur l'apparence débraillée de mes cheveux en soupirant avant de m'élancer dans les escaliers qui menaient au pont.

La lumière m'aveugla quand j'émergeai, la chaleur ambiante me surpris particulièrement compte tenu que nous nous trouvions sur l'eau et l'air marin avait déjà pratiquement disparu, laissant place à un soleil de plomb et à un vent sec. La clameur du port marchand me parvint de plus en plus fort tandis que nous accostions et que l'équipage nous poussait dehors sans ménagement. Mes quelques gardes et accompagnateurs me suivirent à distance respectueuse, craignant manifestement le noble émissaire que j'étais.

Dans cette situation, je ne savais si je devais réprimer un sourire ou une grimace...

S'ils savaient... songeai-je. S'ils savaient que ce "noble émissaire" qu'ils craignaient et respectaient tant car il faisait partie des rares proches de la reine, un Adrisien pure souche, n'était en fait rien de plus qu'un migrant venu du Nord. Un Alymien, descendant des tristement célèbres dragonniers d'Alem. Quelque chose me disait qu'ils ne verraient alors plus du même œil ce gentleman.

Alem, aussi connue sous le nom de "cité des rêves", avait pendant longtemps été en profond désaccord avec l'Empire. Le gouverneur alymien n'avait cessé de guerroyer à la frontière qui séparait sa ville d'Aenash, colonie adrisienne, disputant l'accès au Plaines Blanches et donc à Esma. Et de son côté, l'Empire avait riposté. Sur des générations, depuis que la dynastie Zaïran régnait sur l'Est et d'aussi loin qu'on s'en souvienne, la guerre froide entre les deux villes n'avait jamais cessé. Mais elle avait atteint son apogée en l'an 417, dans une petite ville au sud d'Aenash, quand les dragonniers alymiens avaient débarqués, montés sur leurs monstres ailés, et, pour une raison encore inconnue à ce jour, tout brûlé. En moins d'une heure, la ville frontalière d'Essany, avait été réduite en cendre, tout simplement rayée de la carte, elle et ses quelques centaines d'habitants innocents. Ce désastre n'avait jamais été oublié par Adrisia, qui y avait vu une occasion en or de porter le coup de grâce à la réputation de sa rivale. Depuis, les Alymiens étaient fuis comme la peste dans la grande majorité des cités de l'Empire et dans certaines villes proches d'Alem. La cité des rêves ne faisait plus rêver quiconque, et il était devenu dangereux à l'Est de se proclamer Alymien. C'est pourquoi ma famille s'était toujours efforcée de garder ses origines secrètes et, par chance, personne ne m'avait encore interrogé sur mes yeux bleus et mes boucles brunes bien différents pourtant des mèches dorées et des iris gris typiquement adrisiens.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant