Au coeur du labyrinthe

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Siham

A l'instant même où je posai un pied dehors, le ciel se mit à gronder, comme pour m'accueillir funestement. Les cris de la foule se perdirent rapidement dans le bruit du tonnerre et je songeai que le sort était ironique : il ne pleuvait jamais sur le désert d'Esma mais il avait fallu que le temps se gâte juste quand on me jetait dans un labyrinthe de terre et de rocaille. L'épreuve promettait déjà d'être désagréable.

Resserrant nerveusement mes doigts autour du manche d'un couteau que je venais de choisir, je m'avançai d'un nouveau pas, incertaine de ce qui suivrait. Je m'attendais à voir sortir un Élu menaçant et brandissant glaives ou lance, contre lesquels je ne pouvais rien, à chaque coin de mur. Mais l'arène était étrangement calme et seul le bruit de la pluie qui se mettait déjà à ruisseler autour de moi brisait le silence.
Je ne me demandais même pas comment l'apparition de ce labyrinthe gigantesque en l'espace d'une seule nuit était possible : j'avais déjà vu dans ce palais un nombre incalculable de choses que je ne saurais jamais expliquer.

Je continuai donc d'avancer, cherchant un moyen de retrouver Sanaa à temps. A chaque pas, le sable blanc disparaissait pour laisser place à une terre d'argile et mes bottes pataugèrent bientôt dans une boue épaisse. Mes cheveux trempés dégoulinaient, brouillant ma vision et me faisant très vite grelotter.

Je ne savais pas bien à quoi m'attendre en entrant dans l'arène, mais certainement pas à ce que le froid et la pluie soient mes pires ennemis. Le sol de pierre glissait quand il n'était pas boueux, les murs semblaient se refermer sur moi et le lierre m'empêchait d'avancer, ses lianes s'entortillant constamment autour de mes chevilles. Les nuages gris au dessus de moi masquaient le soleil et je perdis vite la notion du temps, les minutes semblant s'écouler comme des heures et les heures filant entre mes doigts comme du sable.

Il dû d'ailleurs s'en écouler une poignée dans le sablier avant que je ne puisse utiliser la lame que je serrai entre mes phalanges gelées.

L'occasion se présenta sous la forme du jeune Astien qui m'avait tenu compagnie au repas du premier jour. Acculé contre un mur, le visage rouge et la jambe ensanglantée, il faisait face à un énorme chien qui grondait, les babines dégoulinantes de sang.

Sans un bruit, je m'approchai, l'adrénaline courant déjà dans mes veines, me secouant de frissons familiers. La jeune Astien leva les yeux dans ma direction et son visage s'illumina. Je secouai la tête, lui intimant silencieusement de détourner le regard, mais il n'en fit rien et continua de me fixer intensément.

Alors ce qui devait arriver arriva, le chien monstrueux se retourna à une vitesse fulgurante et découvrit sauvagement ses crocs rougis en grognant. Je n'eus pas même le temps d'expirer que déjà, il s'élançait dans ma direction en aboyant férocement.

Je ne réfléchis pas quand il bondit et jetai avec force le couteau que je tenais en priant seulement pour que les heures d'entraînement avec Kheira paient et que je ne rate pas ma cible.
Mes prières furent entendues car la lame se planta immédiatement dans l'épaule du monstre et je le vis trébucher. Mais cela ne suffit pas à l'arrêter, il se releva avant même que je n'aie sorti mon deuxième couteau et se remit à courir.

Bientôt, il ne resta entre nous que quelques mètres qui étaient franchis à une vitesse déconcertante et je sentis la sueur me couler dans le dos. En combat rapproché, je n'avais pas la moindre chance sans la longue lame d'un sabre. Mes couteaux ne pouvaient rien contre des griffes acérées et des dents pointues.

Quand le chien bondit à nouveau, je m'écartai vivement et sentis son souffle frôler mon oreille tandis qu'il se réceptionnait lourdement derrière. Paniquée, je fis volte-face et brandis mon arme. Les yeux rouges de la bête croisèrent les miens et je me vis à l'intérieur, déchiquetée, mes os craquant et ma chair cédant comme du beurre sous ses deux rangées de crocs aux pointes ensanglantées. Puis il s'élança encore, déterminé à en finir. Je tins ma lame tendue devant moi comme un bouclier et attendis l'impact.

Nous roulâmes tous les deux à terre, ma tête heurta une pierre à demi-ensevelie par la boue et je vis des étoiles danser sous mes paupières tandis que la pointe de mon couteau s'enfonçait dans la poitrine de l'animal et que sa mâchoire claquait à quelques centimètres de mon cou. Il poussa alors un grognement de douleur et se fit soudain plus lourd au-dessus de moi.

Le souffle coupé, je tentai de dégager mon arme en tournant le manche profondément enfoncé dans la plaie mais la bête hurla à nouveau et sa grosse patte s'abattit sur mon bras. Les griffes lacérèrent le tissus de ma chemise, atteignant la peau en-dessous et je retins un cri, de peur d'affoler encore l'animal.

Je restai alors quelques secondes immobile, le bras toujours prisonnier de ses griffes et la poitrine compressée sous son poids. Si j'arrivais à retirer mon couteau de sa poitrine alors le sang jaillirait et, avec un peu de chance, cela me laisserait le temps de l'achever.

Mais ma main était résolument bloquée entre mon ventre et sa cage thoracique immense et je ne pouvais risquer un mouvement sans qu'il ne m'arrache le bras.

J'étais dans une impasse et chaque seconde qui passait menaçait de me faire sombrer dans la douleur et l'inconscience. Je pouvais sentir chacune de ses griffes toujours plantée dans ma chair et perdait peu à peu la maîtrise de mon bras. Que se passerait-il si je bougeai ? Sa patte continuerait-elle son chemin vers mon artère, menaçant de la sectionner ? Je n'en avais aucune idée, mais il fallait que je tente quelque chose avant que je ne perdre connaissance.

Prenant une grande inspiration, je poussai de toute mes forces sur mes deux coudes en même temps et renversai le corps de la bête de côté. Les griffes glissèrent et je hurlai de douleur, les yeux révulsés. Dans un ultime effort, je retirai ma lame de la poitrine du monstre et accueillis, comme prévu le flot de sang qui en jaillit et m'éclaboussa le visage. L'animal gémit à son tour et s'écroula à terre, libérant douloureusement mon bras et m'arrachant un nouveau cri de douleur. Sans hésiter une seconde de plus, je tranchai d'un geste sa gorge exposée et m'écroulai au sol tandis qu'il rendait son dernier souffle dans un râle déchirant.

L'odeur fétide du sang me prit alors la gorge tandis que je tentais de me relever, cruellement consciente que chaque seconde passée allongée dans la boue mettait ma vie en danger. Le jeune Astien devait lui aussi être armé et attendre que j'éradique la menace du chien pour m'achever.

Péniblement, je me hissai sur mon bras valide et me remis sur pied, mes yeux cherchant déjà mon prochain adversaire.

Mais il se tenait là, toujours prostré contre le mur, la jambe en lambeaux et les yeux suppliants.

Je m'avançai, ma lame gouttant sur le sol et le bras inarticulé pendant de côté. Quand j'arrivai à sa hauteur, il voulut reculer mais se heurta durement aux pierres du mur derrière lui et grimaça en sentant la boue pénétrer dans les plaies de sa jambe.

-S'il...s'il vous plaît... bredouilla-t-il, le regard fou, cherchant désespérément une issue dans l'immensité du dédale gris tout autour.

J'hésitais devant son air suppliant et songeai furtivement à l'aider mais me ravisai en pensant à Sanaa, à la porte bleue, au gong et au temps qui filait bien trop vite...

Détournant résolument le regard, je me penchai et plantai ma lame dans son cœur.

Son dernier souffle caressa mon nez quand je me redressai, des larmes de douleur et de culpabilité me brûlant les yeux.

Je titubai et me laissai glisser contre le mur à côté de son cadavre dont les grands yeux écarquillés fixaient le ciel gris au-dessus de nous et les étoiles que je devinai sous les nuages... Les étoiles qui m'observaient de leurs regard dorés et soupiraient devant la cruauté de mes actes.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant