Les prestigieuses cités d'Esma et Adrisia sortent d'une guerre de dix ans qui leur a, à toutes les deux, beaucoup coûté.
Sur les trônes de leurs capitales, les reines tentent de maintenir l'ordre en mêlant intrigues personnelles et bien-être du peu...
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Sheema
Cette nuit-là, Sheema ne dormit pas. Les paroles du jeune ambassadeur trottaient dans sa tête et elle ne cessait de les tourner et les retourner dans l'espoir d'y trouver une autre signification que celle qu'elle pensait avoir comprise.
« Oh Sheema, vous êtes sa copie conforme... »
La copie de qui ? Nore ? C'était impossible. Elle était son parfait opposé, sa némésis, le ying de son yang, la droite de sa gau...
Elle ne voulait pas y penser.
Nassir avait voulu lui retourner les idées mais elle ne le laisserait pas gagner. Nore et ses charmes appartenaient au passé, un passé aussi lointain que douloureux. Ce soir n'était pas le soir pour ramener son visage blanc et ses mains froides aux portes de la muraille que la générale avait été forcée d'ériger autour de son cœur.
Une décennie que Sheema était partie, au plus profond de la nuit, sa cape sur le dos et seuls ses sanglots pour briser le silence, des années qu'elle était montée sur ce bateau avec pour seul but de s'éloigner le plus possible d'Adrisia, des mois que sa fonction de générale la rongeait et enfin, pas plus de quelques minutes pour que les blessures de son âme soient révélées et, inévitablement, rouvertes. Quelques secondes pour que l'équilibre précaire de son monde ne vole à nouveau en éclat. Tout cela à cause d'un moment de faiblesse imbécile devant la mauvaise personne.
Si elle avait d'abord vu en Nassir un homme bien, droit et juste, elle savait à présent que les rumeurs à son sujet n'étaient probablement pas infondées. Et pourtant elle avait entendu tellement d'inepties sur le favori de la reine, pour la plupart un tas de bêtises qu'elle n'avait fait qu'ignorer. Le coureur de la cour, le fils préféré ou encore -comme très peu osaient l'appeler- le lézard aux écailles de glace. Des rumeurs sur ses origines, sur ses mœurs, sur sa famille -la famille qu'il protégeait malgré et contre toute morale adrisienne- sur les filles qu'il séduisait, la sœur qu'il pleurait...
L'ambassadeur ne devait sûrement pas être inconscient de ce que l'on disait de lui, les mots murmurés ou les insultes crachées derrière son dos, loin de ses oreilles aiguisées. Des insultes réservées aux chiens du grand Nord, aux tueurs ailés. Les Dragonniers, les ombres de glace. Les fils d'Alem, cruels et sanguinaires. Aussi monstrueux que les bêtes qu'ils montaient.
Certains à la capitale et même au-delà jurerait que le jeune Ibn'Yusuf en descendait. Preuve à l'appui : ses boucles brunes et sa peau tannée, sans oublier ses iris océan. Des atouts que lui et sa défunte sœur possédaient tous deux et qui n'était caractéristiques que d'un seul peuple, tristement connu : les Alymiens, les cavaliers de la Mort, les faucheurs ailés, le souffle du Nord... Tant de titres attribués à leurs illustres Dragonniers, responsables du massacre d'Essany et de bien d'autres.
Sheema avait tout d'abord refusé de telles suppositions, pour la plupart reposant uniquement sur un physique différent et qui s'apparentait donc, à ses yeux, plus à une forme de racisme tordue plutôt qu'à de réelles preuves. Mais après le comportement étrange et impulsif qu'avait montré le jeune homme plus tôt, lui jetant son passé et ses blessures à la figure, murmurant des mots de glace d'une voix qui ne lui ressemblait pas et menaçant plus que de raison, elle ne savait trop que penser. La façon dont son visage avait changé du tout au tout en l'espace de quelques secondes, ébranlé par des paroles irréfléchies et plutôt insignifiantes. En cet instant, Sheema aurait menti en disant qu'elle n'avait pas été terrifiée par la proximité de leur corps, par sa propre vulnérabilité face à la colère et la douleur qui avait déformé ses traits. Quelque chose dans les mots qu'elle avait innocemment prononcés avait heurté leur destinataire mais la jeune femme était incapable de déceler quoi.
