Assassins

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Siham

D'un geste brusque et précipité, Nassir claqua la porte pour plaquer son dos contre le battant et me faire face, les yeux écarquillés. Du revers de la main, il poussa le loquet, nous enfermant tous les deux dans la chambre.

J'avais déjà brandis mon couteau et, le cœur affolé, fixais la porte.

Il s'écarta lentement, comme si à tout moment, le bois allait voler en éclat dans son dos.
Le souffle court, il m'interrogea.

-Qui sont-ils ?

Je le dévisageai, les yeux grand ouverts.

-Ai-je l'air de le savoir ?

Il soupira et se passa une main dans les cheveux, cherchant du regard un moyen de se défendre, une arme. Mais je n'avais rien à lui offrir et m'estimais déjà heureuse d'avoir pu garder le petit couteau que je serrais entre mes doigts endoloris.

Quand la porte trembla, il s'en écarta et, paniqué, son regard plongea dans le mien, dans une ultime tentative de chercher une sorte de réconfort.

-Retenez cette porte bon sang, m'empressai-je de souffler en retournant résolument les yeux, peu désireuse d'affronter son regard océan plus longtemps.

-Vous voulez que je finisse avec une hache plantée entre entre mes deux omoplates ? S'offusqua-t-il en secouant la tête.

Je ne répondis pas mais il secoua la tête en prenant conscience que c'était peut-être précisément ce que je voulais.

-Non, il doit y avoir un autre moyen, chuchota-t-il pour lui même.

Je me tournai presque inconsciemment vers la fenêtre étroite donnant sur un gouffre de plusieurs dizaines de mètres et dont la chute nous précipiterait inévitablement vers une mort certaine.

Nassir suivit mon mouvement et son visage s'illumina.

-N'y pensez même pas... commençai-je, les sourcils froncés.

-Il nous suffirait de...

-Non ! C'est hors de question.

-Nari...

-Ne m'appelez pas...

Je me tut précipitamment et faillis porter une main à mes lèvres qui avaient manifestement tendance à s'ouvrir bien plus souvent que nécessaire.

-Comment ?

Merde.

-Comment voulez-vous que je vous appelle ?

-Ne m'appelez tout simplement pas.

Ses sourcils déjà froncés descendirent de plus belle tandis que je le voyais tenter d'analyser mes mots.

Mais nous n'en avions pas le temps.

La porte trembla violemment et nous sursautâmes tout deux.

Nassir se hâta jusqu'à la fenêtre et s'y pencha pour jeter un œil au-dehors et évaluer nos chances.

Bien, songeai-je. Il va se rendre compte de la folie du projet.

Mais il se retourna aussitôt pour lancer d'un ton déterminé :

-Allez-y.

Je le dévisageai, pas certaine de comprendre ce qu'il suggérait.

-Sautez.

J'écarquillai les yeux. Avait-il perdu l'esprit ?

-Pardon ?

-Sautez je vous dis.

Je secouai la tête en reculant afin de mettre le plus de distance possible entre ce fou furieux et moi.

-Si vous ne sautez pas maintenant, je n'hésiterais pas à vous abandonner à votre sort et à laisser ces brutes s'occuper de vous aussi bien que l'arène le fera si vous y retournez demain, me pressa-t-il d'une traite, le souffle court.

-Je n'y ret...

-Sautez ou notre arrangement ne tient plus.

Le silence tomba, seulement troublé par le rythme maintenant familier des coups frappés contre le battant indestructible de la porte.

Indestructible, oui, mais pour combien de temps ?

Je déglutis.

-Vous êtes complètement fou.

Il me sourit alors en replaçant consciencieusement le tissu qui recouvrait à nouveau sa bouche et son nez.

-Après vous, susurra-t-il en s'écartant pour me découvrir la minuscule ouverture dans le mur qui faisait office de fenêtre unique dans cette chambre.

Je n'étais honnêtement même pas sûre que mes épaules ou mes hanches passeraient à travers.

Cela résoudrait le problème, songeai-je, le coeur battant tandis que je m'avançais.

Mais il me suffit d'un regard par-dessus le petit rebord de pierres rouges pour reculer vivement en manquant de m'étouffer avec ma salive.

-Mais vous avez perdu la tête !? Avez-vous seulement pris le temps de mesurer le danger ? Qu'est-ce que...

Je ne pus jamais aller au bout de ma reflexion car il me coupa, parlant de plus en plus vite et mâchant la moitié de ses mots déjà étouffés par son turban. Je me retrouvais à devoir me concentrer pour déchiffrer ses paroles bâclées en une langue qui n'était pas la sienne, bien que je dusse avouer qu'il la parle à un niveau frôlant la perfection, ne butant que rarement sur ses mots et maniant adroitement les tournures de phrases.

-Nari, non, je n'ai pas pris le temps de mesurer quoi que ce soit, justement parce que je ne possède pas la moitié de ce temps. Alors, avant que le nôtre ne s'écoule complètement et que nous ne devions faire face à quoi qu'il y ait derrière cette porte, décidez-vous et sautez. Je vous en prie, sautez.

Je me crispai à l'utilisation de mon surnom mais ne fit pas de commentaire.

-Vous d'abord, crachai-je avec méfiance.

Un profond soupir lui échappa mais il ne discuta pas plus longtemps quand un énorme bruit retentit et que le sol trembla sous l'impact puissant de quelque-chose de lourd s'abattant violemment contre la porte. Il ne s'agissait plus de simples fous alcoolisés qui n'avaient rien trouvé de mieux à faire que d'aller effrayer la première élue sur laquelle ils tomberaient. Non, c'étaient de véritables assassins auxquels nous avions affaire. Mais, pour une raison ou pour une autre, cela ne m'étonnait pas plus que ça. Après tout, je m'y étais préparée dès l'instant ou j'avais compris le double tranchant de la "récompense" promise par Sa Majesté.

Mais Nassir, lui, n'avait jamais demandé à être pris entre tout cela. Et maintenant, c'était lui que j'envoyais sauter à ma place.

Tout ce qu'il faudra pour survivre.

Néanmoins, je ne pus empêcher mon coeur de bondir quand je vis son corps gracieux et entièrement drapé de noir se percher sur le rebord précaire de la fenêtre et basculer sans l'ombre d'une hésitation dans le vide mortel.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant