La caravane

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Siham

La caravane fut aperçue par le jeune Kassem, la veille de l'arrivée des différents souverains venus célébrer l'Afsah et présenter leurs hommages à la reine.

L'aube pointait à l'horizon quand Kheira et moi rejoignîmes Naim et ses hommes au sommet d'une dune surplombant Esma. Nous étions tous armés jusqu'aux dents et fixions le lointain où apparaissaient des dizaines de chameaux lourdement chargés, autant d'hommes à pied ou montés, des dromadaires bridés et sellés portant deux à quatre personnes parées, pour la plupart, de lourds bijoux brillants et de tuniques en soie brodées.

Je déglutis mais tentai de garder en tête qu'aucun de ces nomades n'était entrainé et très rares étaient ceux qui pouvaient se battre. Une aubaine.

Je balayai mes compagnons du regard : trente hommes et femmes d'âge moyen, robustes et sérieux, aucune once de peur ne brillait dans leurs yeux fixés sur la caravane tant attendue. Mais un mouvement nerveux à l'arrière de la troupe retint mon attention et je cillai quand mon regard croisa celui, bleu profond, d'une jeune femme.

Elle passait d'un pied à l'autre en se tordant les mains, ses grands yeux bleus contrastant furieusement avec son teint hâlé et ses innombrables tresses brunes rassemblées au sommet de son crâne en une longue queue de cheval flottaient au vent. Sa tunique bleu foncé -assortie à celle du reste du groupe- était, elle aussi, soulevée par une brise légère et ses deux sabres à lame incurvée brillaient dans son dos.

Elle avait un corps fin, athlétique, un visage pointu et des lèvres pleines qui venaient s'accorder harmonieusement avec son nez légèrement tordu, sûrement par une ancienne fracture. Mais, bien que sa beauté eût de quoi en faire rêver plus d'un, ce n'est pas ce qui retint mon attention. Non, ce qui me perturba c'était que j'avais l'intime conviction de l'avoir déjà vue, d'avoir senti la douceur de sa peau et le parfum enchantant de son odeur. Cette certitude me chamboula et cela dut se lire sur mon visage car l'expression de la jeune femme changea et elle détourna le regard, les sourcils froncés.

Naim prit la parole et je m'efforçai de me concentrer sur les consignes de mon ami et de chasser les diverses sensations qui tordaient mon ventre, desséchaient ma gorge et faisaient battre mon cœur ; je plantai mes ongles dans mes paumes quand une odeur de jasmin et d'agrumes m'envahit et que je cru sentir la chaleur d'un souffle rauque contre ma nuque.

Comment la simple vue de cette jeune femme avait-elle pu provoquer un tel déluge d'émotions ? Je l'ignorais, mais j'avais la nette impression que cette peau sombre, ces boucles brunes, ces lèvres pleines, ce nez tordu et ces magnifiques yeux bleus figuraient dans mes souvenirs, quelque part. Quand mon regard avait croisé celui de cette inconnue, ses yeux m'avaient indéniablement attirée et, pour une raison que je ne saurais expliquer, ils m'avaient rappelé une sensation de sécurité et de...

L'odeur revint, mélange de l'arôme amer de la fleur de jasmin et de celui, plus sucré, des oranges mûres.

-...et la section de Nari attaquera par le nord , c'est compris ?

Je sursautai, perdue dans mes pensées je n'avais pas retenu un seul mot de ce que Naim avait ordonné. Je soupirai et tentai de me consoler en me disant que, au moins, je savais où mener ma section.
Vers le grand nord. En direction des plaines blanches, là où le désert jaune rencontrait le désert blanc.

La vaste étendue désolée des plaines blanches, un désert de sel aride où rien ne vit, ni plante ni animaux et où le silence est si complet qu'on pourrait entendre les battements non-seulement de notre propre cœur mais aussi de ceux de notre entourage. Les plaines blanches ne menaient à rien d'autre qu'à la folie et personne n'avait jamais atteint les Hautes-Mers en les traversant. Bien entendu, ma section n'irait pas aussi loin, en fait elle ne s'approcherait même pas du désert de sel, c'était un risque loin d'être nécessaire. De plus, la caravane était de plus en plus proche et l'assaut serait donné dans moins d'une heure, ce qui ne nous laissait pas ne serait-ce que le quart du temps requis pour rejoindre l'étendue blanche.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant