Le tunnel

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Siham

Ce ne fut que quand la porte céda bruyamment et s'ouvrit à la volée sur cinq hommes armés jusqu'aux dents, au visage rougi par l'effort et à la mine absolument terrifiante que je me décidai enfin à sauter.

La dernière chose que je vis avant de basculer vers la mort fut l'horrible grimace satisfaite du plus grand des bandits.

Puis, je sombrai.

La chute fut longue et je hurlai tout du long, tandis que mon corps tombait, complètement désarticulé et ballotté par le vent nocturne tel une poupée de chiffon.

Tandis que la façade rougeâtre du palais défilait à toute vitesse devant mes yeux et qu'au loin, la mélodie apaisante de l'appel du Isha (prière de la nuit) s'élevait dans le silence, je murmurais un dernier au revoir à ceux que j'aimais et leur demandais furtivement pardon. Mes larmes s'envolèrent dans le ciel, défiant la pesanteur qui m'attirait inévitablement à elle.

Dans un dernier souffle, je fermai les yeux et me préparai à l'impact, sentant le sol pavé se rapprocher de plus en plus, l'air autour de moi se faire plus lourd et mes entrailles se retourner douloureusement.

Mais au lieu du choc mortel, je me heurtai violemment à une toile tendue. Mon visage subit le plus gros de la chute et je sentis la morsure brutale du tissu rêche contre ma joue, la déchirure de la peau tendre et les gouttes de sang former de minuscules perles à sa surface.

Déboussolée, je me redressai sur mes genoux, mes cheveux glissant de mes épaules et masquant aussitôt ma vision. La tête me tournait et je tâtai avec méfiance le toile qui m'avait accueillie.

Soudain, elle vibra.

-Nari ! Par ici.

Le chuchotement me prit par surprise et je sursautai en me dirigeant vers sa source. Derrière un gros pilier de terre rouge, couché à même le sol entre ce dernier et l'énorme dalle couverte de lierre et de sable terreux, Nassir m'observait, ses yeux bleus brillant presque dans l'obscurité et ses boucles décoiffées pointant sous son turban poussiéreux. Le bras tendu devant lui, il secouait légèrement une corde reliée à la toile sur laquelle je me trouvais, faisant ainsi onduler sa surface afin d'attirer mon attention.

-Depêchez-vous bon sang ! Siffla-t -il, tout son corps tendu.

Je ne me fis pas prier plus longtemps et rampai jusqu'à la terre ferme : une petite corniche suspendue à quelques mètres au-dessus du sol, dissimulée sous une sorte de canal à ordure et rattachée au mur du palais par un tunnel sombre et particulièrement étroit.

Dès que mes genoux touchèrent le sol, la pression monstrueuse qui pesait sur ma poitrine se relâcha et j'inspirai bruyamment. Du coin de l'oeil, j'aperçus la main gantée de Nassir remuer pour frôler furtivement mon avant-bras, se suspendre l'espace d'une mili-seconde avant de retomber aussitôt sur la corde que l'autre tenait toujours. Je fronçai légèrement les sourcils mais ne m'attardait pas plus longtemps sur la forme de ses doigts crispés qui transparaissait contre le cuir sombre de ses gants. Un frisson me parcourut, mais je mis cela sur le compte de la fraicheur nocturne, bien que ma tunique soit trempée de sueur.

-Aidez-moi à la rabattre.

Je m'exécutai en me gardant bien, cette fois-ci, de sursauter au son de sa voix.

***

Quand la toile fut rangée, Nassir me souffla de le suivre et je ne discutai pas, n'ayant de toute manière aucun autre choix.

Nous rampâmes sous la dalle, nous enfonçant toujours plus profondément entre l'espace étouffant qui séparait cette dernière du sol. Le silence était presque complet, faiblement troublé par le rythme du frottement de nos deux corps contre la terre et le sable et par nos respirations saccadées. Mais nous ne disions rien. C'était loin d'être le moment pour poser les milles questions qui me brûlaient la langue et je pouvais sentir que nous n'avions tout deux aucune envie de développer un quelconque rapprochement aussi bien verbal que physique. La proximité forcée de nos corps collés l'un à l'autre nous était déjà insupportable et la tension était à son comble tandis que nous étions forcés de nous tortiller, au risque de comprimer certaines parties sensibles contre la dalle, le sol ou le corps de l'autre.

L'atmosphère devint de plus en plus lourde, la chaleur faisait coller le sable et la terre contre notre visage, nos paumes et nos cheveux ; nos genoux saignaient affreusement et tachaient nos pantalons et nous fûmes très vite à bout de souffle, les poumons souffreteux et épuisés d'inhaler la poussière sableuse et les particules de sueur.

Ce n'est que quand, la gorge serrée, les paumes écorchées et les yeux rougis et brûlants, je commençais à considérer sincèrement la possibilité d'abandonner et de me laisser mourir là plutôt que de continuer, que la lumière vacillante d'une torche baigna l'obscurité opaque du tunnel étroit dans lequel nous rampions depuis plusieurs longues minutes.

Nassir jura avec enthousiasme et accéléra l'allure, son corps pressant le mien tandis qu'il se hâtait vers la source lumineuse. Je l'imitai, l'espoir gonflant ma poitrine et remplissant ma trachée de son goût sucré.

Nassir fut le premier à émerger et je le suivis de près, tremblante quand je saisis sa main tendue et le laissai me trainer hors de la cavité sombre.

Fermant les yeux, je me dressai lentement, incertaine de la capacité de mes jambes à me soutenir après une telle épreuve. L'air n'était pas objectivement frais mais il me sembla alors que la bouffée que j'en inspirai fut la plus revigorante de ma vie entière. La douleur de l'usure de mes genoux ne se manifesta pas immédiatement et je pus profiter de quelques secondes de paix totale, les paupières closes, savourant simplement la joie d'être saine et sauve.

Je ne me rendis compte que je tenais toujours la main de Nassir qu'un court instant plus tard, quand ce dernier remua et que je m'écartai, ouvrant brusquement les yeux.

Je ramenai mes mains derrière mon dos, priant pour qu'il n'ait rien remarqué. Car je ne l'avais pas seulement tenue, je l'avais broyée.

Il fallut un raclement de gorge éloquent de sa part pour que je remarque la présence d'une tierce personne et que je détourne mon regard figé des mains toujours résolument gantées de Nassir.

Dans un coin de la petite pièce dans laquelle nous avions fait surface, une femme se tenait, les doigts enroulés autour du manche d'une torche flamboyante dont la lumière chaude rejetait son ombre contre un visage aux traits durs et au milieu duquel brillait un œil unique à l'iris d'un gris familier.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 06 ⏰

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