Bande de criminels

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Siham

Le couteau siffla à quelques centimètres de mon oreille pour aller se planter dans le bois derrière moi.

-Siham ! Concentre-toi ! La prochaine fois je ne raterai pas ma cible. Si je te blesse, Naim sera furieux, alors fais un effort, bon sang ! Pesta Kheira en allant récupérer son arme.

Je grommelai une vague excuse ponctuée d'un geste obscène avant de me mettre en position et de dégainer mon sabre.

-Le lancé de couteaux m'ennuie, battons-nous ! Tu ne pourras pas te plaindre que je m'endors, pas vrai ? proposai-je alors.

Mon amie soupira mais dégaina son arme à son tour. Je souris de toute mes dents et m'élançai en poussant un cri de guerre. Elle contra dans un éclat de rire et je revins à la charge, de plus en plus rapidement.

Kheira contra chacune de mes piètres tentatives en riant de plus belle et je sentis mon sang bouillir. Elle avait toujours été meilleure que moi en défense mais personne n'égalait mon jeu de jambe.

Je fis un écart et elle en profita pour tenter une attaque. Je souris. Mes jambes bougèrent toutes seules, j'avais répété ce mouvement tant de fois. Mes pieds passèrent l'un après l'autre derrière les siens, déstabilisée elle tituba en avant et j'en profitai pour placer ma lame sous sa gorge tout en lui saisissant les cheveux. Elle poussa un petit cri de surprise et s'immobilisa, le menton soigneusement levé pour l'éloigner le plus possible du tranchant de mon arme.

Je me penchai vers son oreille et lui susurrai : "Alors, on se rend ?". Elle jura et me donna un violent coup de coude dans les côtes. Le souffle coupé je relâchai ma prise sur ses cheveux et elle se dégagea en prenant toujours soin de ne pas toucher ma lame. "Jamais !" lança-t-elle, euphorique. Je repris mon souffle péniblement et lui adressai à nouveau un geste obscène. Elle sourit en multipliant les attaques et je les parai toutes, en retrouvant ma bonne humeur.

C'était un fait : le combat m'électrisait d'une manière que je n'aurais su décrire correctement. Le combat était ma seule passion, mon seul talent. Je me prenais même à le considérer quelquefois comme ma véritable raison de vivre.

C'était étrange, la façon dont l'art de donner la mort m'insufflait la vie...

***

Une dizaine de minutes plus tard je plaçais une nouvelle fois mon arme sous la gorge de mon amie, laquelle finit par se rendre, sans se départir de son éternel sourire. C'est le moment que choisi Naim pour faire son entrée dans la salle d'entrainement.

Il semblait nerveux, avait revêtu sa plus belle tunique et ses boucles brunes étaient coiffées et brillantes. Nous l'interrogeâmes du regard et il nous expliqua qu'il avait convoqué Rhiya pour lui exposer les choix qui s'offraient à elle après son arrivée, il y'a trois jours. Je sentis mon ventre se contracter à l'idée de revoir la jeune femme aux cheveux blancs mais c'était un moment important pour Naim, je pouvais le sentir. Cela déterminerait si elle restait et devenait un membre de son réseau ou si elle s'en allait pour une vie de misère ou de prostitution. Je ne souhaitais un tel avenir à personne mais je ne pouvais pas non-plus affirmer que je serais ravie si elle restait. Sa vue me rappelait la part de moi que j'avais perdu le jour où j'avais tué sa mère, les années que j'avais passées dans les cachots du palais à hurler chaque nuit, réveillée par un cauchemar où je me revoyais passer ce couteau sur une gorge frémissante, ôter une vie.

La salle commune était située dans une des alcôves disposées autour de la cour intérieure.

Notre maison était construite dans le style typique daevien : une minuscule porte en bois peint, identique à toutes les autres des rues d'Esma, mais qui, une fois ouverte, donnait sur une jolie cour intérieure entourée de petites pièces rondes : les alcôves. C'est dans la plus grande que nous nous retrouvions, Kheira, Naim et moi quand il nous convoquait. Nous l'appelions la "salle commune" ou le "grand salon". C'était une pièce spacieuse et douillette, à l'image du reste de la maison, où d'énormes tapis aux motifs compliqués et aux couleurs chaudes se chevauchaient sous nos pieds et de minuscules lanternes colorées diffusaient une lumière tamisée. De longs canapés étaient disposés tout le long des murs blanchis à la chaux et une odeur d'épices et de miel y régnait.

Quand nous entrâmes, ce fut pour y rencontrer une Rhiya déjà installée sur un lit de cousins brodés, levant ses grands yeux remplis d'inquiétude vers nous en se tordant les mains. Cependant, bien que la détresse de la jeune femme soit palpable, ce fut l'expression que je découvris dans le regard de Naim qui me serra le cœur.

Kheira prit place en premier et je la secondai en faisant appel à tout le sang-froid qu'il me restait pour ne pas me lever et courir le plus loin possible de l'esclave aux cheveux blancs assise près de moi. Les souvenirs tentaient inlassablement de se frayer un chemin dans mon esprit mais je les repoussai, déterminée. Naim, quant à lui, ne bougea pas. Il resta droit comme un piquet, les yeux fixés sur Rhiya et les mains croisées dans le dos pour les empêcher de trembler et, quand il prit la parole, ce fut d'une voix lourde et légèrement cassée.

-Rhiya, tu fais partie des esclaves que j'envoie mes amies acheter chaque mois. De ce fait, je te laisse deux options : rejoindre ma troupe et travailler pour moi ou repartir en femme libre.

Il fit une pause et un petit silence curieux s'installa, très rapidement brisé par la reprise grave de Naïm.

-Mais avant de prendre ta décision, j'aimerais te faire part des détails. Si tu choisis de travailler avec nous tu dois savoir que ce n'est pas un travail facile, ni sans danger... Ni même considéré comme honnête, j'en ai bien peur.

À ces mots, Rhiya leva la tête, les sourcils froncés et les lèvres pincées. Elle fit mine de vouloir émettre une objection mais Naim leva la main pour l'en dissuader et poursuivit, d'un ton de plus en plus peiné.

-Aussi déplaisante que puisse te paraître cette première option, je me dois de t'expliquer ce que serait ta vie si tu choisis la deuxième. Être une esclave affranchie à Esma n'est pas chose aisée. Tu devras trouver un travail, mais si tu ne te fais pas rapidement embauchée il ne te restera qu'un seul choix : le Quartier de la Paie et ses nombreux vices. Tu le sais, je le sais, nous le savons tous, ce n'est pas le futur le plus brillant ni agréable qui soit... Mais, aussi cruel que je puisse te sembler maintenant, tu dois comprendre que la vie que je t'offre vaut bien mieux que celle à laquelle tu étais destinée avant que Siham ne t'achète.

Le silence se fit. Rhiya avait baissé la tête et ses mains tremblaient. Naim ne bougeait toujours pas et, mal à l'aise, je me tournai vers Kheira qui fixait ses pieds intensément. Quand Rhiya prit la parole, sa voix était teintée d'une colère sourde.

-Je vous déteste. Articula-t-elle entre ses dents serrées. J'aurais préféré une vie de labeur honnête chez le noble qui aurait fini par m'acheter si vous n'étiez pas intervenus, à celle, perfide et dangereuse que vous me proposer à présent.

Nous retînmes notre souffle, les yeux baissés. Naim ouvrit la bouche pour répondre mais elle ne lui en laissa pas le temps.

-Vous êtes des voleurs, des bandits, des meurtriers et je refuse de vous rejoindre. Je vais tenter ma chance ailleurs et, si je suis aussi libre de mes choix que vous l'assurez, j'aimerais partir dès aujourd'hui.

Naim se figea. Sa poitrine se soulevait de plus en plus vite et il peina à reprendre la parole.

-Très bien. Si tel est votre souhait. Finit-il par bredouiller, blanc comme un linge.

Rhiya hocha la tête et se leva, son caftan brodé -cadeau de Naim à son arrivée- bruissa dans son mouvement et elle sortit.

Ses pas résonnèrent longtemps après son départ.

Quand Kheira prit congé à son tour, je ne tardai pas à l'imiter. En passant je posai ma main sur l'épaule de mon ami, qui resta figé, les yeux perdus dans le vague là où se trouvait la belle esclave quelques minutes plus tôt.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant