Décision

10 2 0
                                    

Siham

Quand je passai la porte du salon, l'odeur nauséabonde du sang, mêlée à celle, enivrante, des herbes médicinales me prit à la gorge et je réprimai un haut-le-cœur. Nore était étendue sur un large fauteuil, les lèvres gercées, le teint pâle et les cheveux trempés de sueur. Ses yeux s'agitaient frénétiquement sous ses paupières closes et sa poitrine se soulevait à un rythme effréné.

Je m'approchai silencieusement et plaçai une main sur son front luisant de sueur. Elle remua et gémit faiblement. Je soupirai et retirai les linges humides posés sur sa peau brûlante pour les remplacer. Elle frémit au contact de leur fraicheur et sa mâchoire se crispa imperceptiblement. Je changeai ses bandages rouges de sang, nettoyai sa plaie méticuleusement et remplaçai régulièrement les linges qui se réchauffaient à une vitesse déconcertante. Je répétai cette routine jusqu'à ce que le soleil soit haut dans le ciel et que le jeune Kassim vienne me remplacer.

Nore ne s'était pas réveillée une seule fois et semblait plongée dans un sommeil agité et rythmé par les vagues de chaleur de sa fièvre croissante. Une guerrière se serait vie remise d'une telle blessure, mais Nore n'en était pas une, c'était une princesse. Je n'arrivais toujours pas à croire que la vie de la future reine d'Adrisia se trouvait entre mes mains. Cette même femme qui avait fait de la mienne un enfer pendant sept longues années...

Nore se réveilla sous la garde de Kheira. Sa fièvre avait considérablement baissé la veille et sa plaie semblait saine. Ce n'était donc plus qu'une question d'heures quand j'avais fini ma garde.

Quand j'entrai dans le salon où elle avait passé les deux derniers jours, inconsciente sur un fauteuil, ses longs cheveux dorés et sa robe vert émeraude trempée de sang et de sueur étendus autour d'elle, Kheira, Naim et Kassim m'y attendaient déjà, débattant activement sur le fait de laisser ou non mourir la princesse. Ils se retournèrent comme un seul homme quand j'entrai et le silence s'installa. Ils me dévisagèrent en se mordillant les lèvres. Je ne fis aucun commentaire, à leur grand soulagement. 

Nore fut soudain prise d'une violente quinte de toux et je sursautai. J'avais oublié que cette vipère était réveillée, vivante... Le maigre espoir qu'elle ne soit plus m'avait poursuivie les deux derniers jours et, malgré moi, je ne pus m'empêcher de grimacer quand je me rendis compte de cette vérité : la princesse n'était pas morte.

Mais elle aurait pu...

Si je n'avais pas été soudainement si faible et ne l'avais pas sauvée sur un coup de tête. J'avais eu ma chance de l'éliminer et je l'avais lâchement laissée passée.

Je serrai les lèvres et son regard gris acier capta le mien. Le monde sembla retenir son souffle quand ses grands yeux injectés de sang et ruisselants de larmes rencontrèrent mes yeux, dorés et brûlant de ressentiment, aussi durs et froid que me le permettait mon corps fatigué d'avoir haï cette femme pendant si longtemps. Je ne savais pas pourquoi je m'efforçais de garder cette expression figée de haine et de dégout quand mon cœur n'exprimait en réalité qu'une profonde pitié à son égard.

J'avais beau détester Nore de tout mon être, je la plaignais tout autant, si ce n'était plus. La princesse avait grandi dans le palais de mes souffrances, entre les hauts murs immaculés et les dorures scintillantes, parmi les serviteurs au regard vide, les esclaves enchainés et les remarques froides et cruelles de la reine. Oui, j'éprouvais une grande pitié pour cette femme.

Je secouai la tête et m'approchai d'elle. Elle ne détourna pas le regard, ne baissa pas la tête, ne fondit pas en larmes, ne supplia pas... Non, elle se contenta de me fixer, d'un œil intense, résigné, presque triste. Je lui pris les mains et posai une des miennes sur son front pâle. Sa fièvre avait, effectivement, considérablement baissé, si ce n'est complètement disparu. Alors, elle ne dit rien quand je lui saisis l'épaule pour l'obliger à se mettre debout, ne prononça pas un mot de plus quand je la poussai vers la cour sans accorder un regard à mes amis qui restaient eux aussi silencieux, les lèvres pincées et les yeux légèrement baissés. Ils comprenaient que c'était une affaire dont je devais me charger seule et le respectaient.

WardaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant