Je suis passablement énervée en ce samedi matin.
Déjà, j'ai très mal dormi. J'étais sur les nerfs à cause de cette prise de tête avec Arthur et en plus Clément ronflait comme pas possible. Du coup, je suis allée sur le canapé du salon pour lire un bouquin et j'ai du finir par m'endormir vers 3 heures du matin. Sur les coups de 5 heures, Clément s'est levé pour sa pause pipi habituelle, m'a trouvée sur la canapé et s'est dit que c'était pile le moment de me réveiller et de me demander ce que je foutais là au lieu d'être dans le lit. J'ai eu beau répondre que je n'arrivais pas à dormir à cause de ses ronflements, il a secoué la tête l'air de dire "n'importe quoi". Ca m'a de nouveau énervée et je n'ai plus réussi à retrouver le sommeil.
Ensuite, tout a été de travers... Je me suis tapée le petit orteil sur le coin de la table basse (et ça fait un mal de chien !), j'ai renversé ma tasse de café sur ma tartine de pain grillé, j'ai filé mon collant, j'ai failli taper une voiture en me garant... Bref, cette journée risque d'être trèèèèèès longue.
Et pour finir, j'en ai marre de ces gens qui me font des sketches pour des motifs complètement improbables. Hélène parce que je reparle avec ma soeur. Arthur parce que j'ai l'outrecuidance de lui faire remarquer qu'il est plus jeune que moi. Clément parce que je n'ai pas pris la peine de lui demander la permission de dormir sur le canapé. Soit les gens sont de plus en plus fous, soit c'est moi qui ne comprends plus rien.
Heureusement, ma matinée est sur le point de s'illuminer. Je viens de passer la porte de la maison de retraite de Mamina. Rien de tel que son sourire pour mettre du soleil dans ma journée. Après avoir salué le personnel croisé à l'accueil et écris mon nom sur le registre, je marche d'un pas décidé vers la chambre de ma grand-mère adorée, les bras chargés d'un bouquet de marguerites, ses fleurs préférées, et les miennes par la même occasion.
Ouvrant la porte sans frapper, comme si j'étais chez moi, je suis coupée dans mon élan par la scène que j'ai devant les yeux. Assise sur son lit, Mamina a la main posée sur l'épaule d'un monsieur qui est en train de pleurer contre son cou. J'ai instinctivement envie de faire demi-tour et d'aller attendre dehors sauf qu'il me semble reconnaître cette personne...
- Papa ?
L'homme en question s'éloigne doucement de ma grand-mère et relève un regard embué vers moi. Je ne me suis pas trompée... Qu'est-ce qu'il peut bien faire là ? Sans ma mère en plus... Et pourquoi pleure-t-il ? Est-ce parce que je leur ai annoncé qu'elle était malade ? Pourtant il l'ignore royalement le peu de fois où il la voit...
On poursuit donc sur la lignée des événements qui n'ont aucun sens.
- Ma petite chérie, tu peux attendre quelques minutes dehors s'il te plaît ? me demande Mamina avec un doux sourire.
J'acquiesce et ressors, toujours interloquée.
Plutôt que de rester sans rien faire devant la porte, je me dirige, toujours mon bouquet en main, vers la machine à café. Ce n'est certes par le meilleur qui existe mais il a le mérite d'exister. Une fois ma boisson prête, je vais me poser sur la petite terrasse extérieure. Des petites mamies sont déjà posées autour de ma table préférée et papotent. Ce sont les copines de ma grand-mère, je les reconnais. Elles m'adressent un petit coucou de la main que je leur rends avec un sourire. D'ordinaire, je serai aller les saluer de vive voix mais je n'ai pas l'énergie aujourd'hui. Ma colère est en train de se métamorphoser en une sorte d'abattement. Je déteste ce sentiment qui me donne l'impression d'être une grosse loque sans maîtrise de rien.
Perdue dans mes pensées, je ne perçois qu'au dernier moment qu'une personne s'est avancée vers moi. Sans avoir à lever la tête, je reconnais l'ombre de mon père, les épaules baissées, les mains dans les poches... et surement le regard rivé au sol.
- Je peux m'asseoir avec toi ?
Encore une séquence complètement improbable.
- Oui bien sûr.
Je l'entends tirer une chaise et s'asseoir juste à mes côtés. Mon coeur commence à battre un peu plus fort que d'ordinaire. Mon père ne m'adresse tellement jamais la parole... Je n'ai pas l'habitude qu'il vienne de son plein gré chercher ma compagnie.
- Je suis désolé que tu m'aies vu en train de pleurer, je ne savais pas que tu viendrais ce matin.
C'est donc pour ça qu'il vient me parler ? Parce qu'il a honte d'avoir été pris en flagrant délit de tristesse ? Ou parce qu'il a peur que je le répète à ma mère ou à ma soeur ?
- Je viens l'après-midi en général mais j'avais envie de la voir plus tôt aujourd'hui. Je ne répéterai rien si c'est ce qui t'inquiète.
Toujours le regard rivé sur mon café, je n'attends même pas de réponse de sa part. Je devrais être contente de cet échange. Pourtant, j'ai le sentiment qu'il se force à me parler et du coup, je n'en suis que plus déçue.
- Je me dis surtout que tu ne dois pas comprendre ce que je fais là. On ne peut pas dire que ta grand-mère et moi soyons très proches.
Je finis par relever la tête vers lui. Ses yeux sont toujours embués de larmes. Instinctivement, je lève la main pour la déposer sur la sienne, posée sur la table devant moi. Je me stoppe toutefois en plein élan, de peur de me faire rabrouer. Mon père ayant compris mon intention affiche alors un léger sourire que je ne lui connais pas et vient attraper ma main pour la prendre dans la sienne.
Qu'est-ce qui lui prend ? Je ne me souviens même pas d'un seul moment dans toute ma vie où il m'aurait prise dans ses bras ou même consolée de quoi que ce soit.
- Je suis désolé Amandine. Tellement désolé...
Il serre ma main de plus en plus fort. Et moi, je suis de plus en plus perdue. Toute ma vie, il a été cette figure froide, presque absente, et là, il me serre la main comme s'il redoutait de me lâcher.
- Je n'ai pas été un bon père pour toi. J'ai même été le pire qui soit.
- Il y a pire père que toi si ça peut te rassurer...
Ses grands yeux gris cherchent les miens et je vois de grosses larmes couler. Je me penche alors vers lui pour le prendre dans mes bras et il me semble entendre contre mon cou un léger sanglot.
- Qu'est-ce qui te met dans un état pareil, papa ? Il est arrivé quelque chose ?
Il s'écarte de moi, renifle et d'une voix éraillée par le chagrin, finit par me répondre.
- Depuis que tu nous as annoncé la maladie de ta grand-mère, je n'arrive plus à trouver le sommeil. J'ai l'impression d'être submergé par un tas de souvenirs et de sentiments que je pensais avoir profondément enterrés.
De quoi peut-il bien parler ? Il n'y a pas plus sans histoire que ma famille...
- Tu sais, il y a plein de choses dont il faudrait...
Bip Bip Bip.
Son téléphone se met à sonner. Il le sort de sa poche et j'ai à peine le temps de lire le prénom de ma mère sur l'écran avant qu'il ne décroche.
- Allo ? Je suis parti prendre l'air. Oui, je sais qu'on a rendez-vous dans 10 minutes. Je suis sûre qu'elle ne m'en voudra pas. D'accord. A tout de suite.
Après avoir raccroché, il se lève et range son téléphone dans sa poche.
- Je dois y aller, on est attendu chez ta sœur pour le déjeuner. A bientôt Amandine.
Et il part comme ça, me laissant avec un sentiment tout aussi improbable que cette matinée : l'espoir de créer du lien avec lui.
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Impensable !
RomanceA 28 ans, Amandine a une vie bien établie : un petit ami, un travail stable, un appartement à elle. Bref : aucune ombre au tableau ! Son quotidien sans relief est alors chamboulé par l'arrivée d'un nouveau collègue, Arthur, qui bien que plus jeune q...