Chapitre 5: Seule

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La première journée passe sans embûches. Je me lie d'amitié avec Maria, une des seules personnes sur ce navire qui ne semble pas vouloir me tuer. Je l'aide avec le lavage et les tâches en cuisine aux cotés de Ben. Maria est si douce et gentille que je doute qu'elle soit la redoutable guerrière qu'elle prétend être. J'observe souvent les alentours et je remarque qu'Alya, Elena et Matix se tiennent souvent ensemble, groupe auquel s'ajoute parfois Kaze. Il ne semble pas très social, mais le respect que chacun lui accorde semble indiquer le contraire.

Le crépuscule éclaire le bateau d'une lumière orangée pendant que je finis de plier le linge qui avait séché durant la journée.

- Merci Ruby. Je crois que j'en aurais pour encore deux heures si tu ne m'avais pas aidée, me dit Maria.

Je lui fais un signe de tête et la regarde partir, deux paniers de linge sous les bras. J'observe les alentours et remarque un groupe d'hommes qui chantent autour d'un feu. L'air enjoué qu'ils chantent me rappelle une chanson que mon père fredonnait quand j'étais petite, il devait l'avoir entendu de marins. Cet air familier m'apaise et me calme. Quelques pirates rentrent se coucher alors que la lune apparaît à l'horizon. Je n'ai pas revu le capitaine depuis ce matin.

- Regardez, si ce n'est pas la nouvelle, dit un pirate à un mètre à ma droite.

Il me pointe en ricanant en compagnie de trois autres hommes. Je reconnais Rayid parmi eux.

- Elle ferait une bonne marchandise pour ton marché avec BB et Lars.

Je reconnais les initiales de Betty Brown. Peut-être Rayid a été son amant après tout. Avec son air ravageur et sa carrure impressionnante, je ne doute pas que Betty puisse être tombée sous son charme. Toutefois, je n'ai jamais entendu parler d'un Lars. Le marché dont parle le pirate doit être un contrat d'esclaves, et ce jeune pirate pense que je ferais une bonne « marchandise », sans doute parce que je suis orpheline et que je semble être inoffensive. Quelle naïveté.

Je doute aussi que Betty fréquente un ancien amant et participe à un marché d'esclaves. Elle est peut-être redoutable, mais elle honore ses valeurs avec ardeur et la liberté est une de ses plus précieuses valeurs. Jamais elle n'infligerait l'horrible destin d'être la propriété d'un autre pour de l'argent.

- En effet, et j'ai l'impression qu'on sous-estime la valeur de cette jeune fille, dit Rayid.

Le sous-entendu que je semble distinguer dans sa remarque me pousse à me tourner dans sa direction. Sa voix qui semble cacher une vérité inquiétante me fait trembler. Il est peu probable que cet homme ne me connaisse. Même Betty Brown ne me reconnaîtrait pas. Je n'étais qu'une femme parmi tant d'autres sur son navire.

Rayid ne doit qu'essayer de m'effrayer ou de me montrer que je n'ai pas sa confiance, ce qui est inutile puisque je ne tiens pas à me faire des amis.

- Allez, laissons-la tranquille, on aura le temps de faire plus ample connaissance dans les prochains jours, dit Rayid avant de se verser du rhum et de rigoler d'un rire qui m'emplie d'effroi.

Je m'éloigne de lui et de son groupe et rejoins le plat-bord qui donne une meilleure vue sur la mer.

Je regarde dans l'ombre d'un recoin du pont et aperçois Matix et Kaze en pleine discussion, une bière à la main. Ils sont accompagnés d'Alya et d'Elena, cette dernière étant si près de Kaze que je me demande s'ils sont ensemble. Puis je repousse cette idée en voyant la grimace cachée sur le visage de Kaze quand Elena le touche par accident.

Je ris doucement. Je me tourne enfin vers la mer et regarde le soleil se coucher au loin. Je pose mes bras sur le bois de la coque et regarde les vagues défiler. Je repense à la nuit où mon père a disparu. Le paysage est le même, les mêmes vagues, le même crépuscule. Cette même teinte orange qui éclaire mes mains... Je secoue la tête pour repousser cette pensée, les larmes menaçant d'apparaître.

- Hey, l'insolente! crie une voix féminine derrière moi.

Je me tourne, agacée d'être interpellée à nouveau. Je vois les quatre jeunes de mon âge approcher, Kaze se tenant dans l'ombre. Il semble éviter mon regard. C'est Elena qui m'a interpellée.

- J'imagine que tu te crois toute permise sur ce bateau, mais tu es loin d'être la bienvenue, dit-elle.

Vient-elle juste de me menacer? Elle ferait un bien joli couple avec Kaze après tout. Je ris doucement devant son arrogance déplacée.

- Elena! Désolée, on est venue se présenter, pas t'insulter. Moi c'est Alya, me dit celle à la chevelure brune qui tombe en vague autour de son cou.

- Et moi c'est Matix, impossible de me détester, tout le monde m'aime.

Il prend un air orgueilleux qui fait rire Alya. Je les salue en évitant les deux autres du regard. Comment de si gentilles personnes peuvent se tenir avec Elena et Kaze?

- Ne t'imagine pas qu'on va être gentil avec toi par contre. Tu es si inutile et si faible que tu ne survivras pas un seul combat ici, dit Elena.

Je roule les yeux, cette fille a un sérieux problème.

- Est-ce que c'est censé me faire peur? je demande, amusée.

Elle grogne et s'avance soudainement vers moi en sortant un poignard de sous sa chemise. Elle le met sous ma gorge.

- Si j'étais toi, je quitterais ce bateau au prochain port, dit-elle.

Je commence à me mettre en colère à mon tour. Elle se prend pour qui? J'ai réussi à embarquer sur ce navire noblement et je compte bien y rester. Ce n'est pas une vulgaire fille qui se prend pour la capitaine qui décidera de mon sort.

Je lui fais une prise d'un coup habile, bloquant son bras et lui volant son poignard. Je la menace à mon tour.

- Et si j'étais toi, je me tairais pour éviter d'embêter mon entourage, dis-je d'une voix sèche.

Je lui redonne son poignard et quitte vers la porte du couloir menant aux chambres. Elle a réussi à me mettre en colère. J'entends le rire de Matix derrière moi et un grognement féminin.

Je rentre dans le couloir des chambres et rejoins mon lit en ignorant les regards curieux des pirates que je croise sur mon passage. Tant pis si Kaze est mécontent que je dorme ici, il devra s'y faire.

Plusieurs dorment déjà, dont plusieurs ronfleurs. Je grimpe sur mon lit et prends quelques respirations. Je dois me calmer, me calmer. Ignore Elena et cet horrible et séduisant pirate qui te donne des frissons et des pensées... que tu ne devrais pas avoir. J'ai dit séduisant? Je secoue la tête, mais qu'est-ce qui m'arrive? Ça ne fait qu'une journée que je suis ici et je perds le contrôle. Je dois me reprendre. Je remarque les coups d'œil pervers que me lancent certains ignobles pirates assis sur leurs lits. Ils veulent sans doute que je me change devant eux, mais je ne leur ferai pas ce plaisir. Certains jouent aux cartes. Les jeux stratégiques, ça a toujours été un de mes atouts.

Je m'étends et m'enfonce dans les couvertures. L'avantage d'être dans un équipage qui possède un trésor inestimable c'est la qualité des ressources dont les chaudes couvertures. Je ferme les yeux et écoute le bruit de vagues, celui des planches qui craquent et la musique éloignée des fêtards. Bientôt, la musique s'arrête et les derniers pirates rentrent se coucher.

Ces inconnus, cette musique, ces rires rocailleux et cette odeur de poisson, ce sont les seuls éléments qui forment ma vie désormais. Je n'ai pas de famille, ni d'amis. Il ne me reste que ma haine et ma colère qui brûlent en moi, et l'espoir. L'espoir de retrouver mon père et de le serrer dans mes bras. De lui dire que je ne l'ai pas oublié. C'est cet espoir qui me permet de me réveiller chaque matin. Sans lui, je tomberais dans le néant.


L'or de la piraterieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant