L'or de la piraterie

Chapitre 53: Les origines

Je suis devant un port, vêtue d'une robe blanche légère toute simple. À voir ses déchirures sur le bas de la robe, je constate que cette robe est souvent utilisée. Le soleil resplendit de son plein aplomb dans le ciel. Je descends vivement les yeux sur mes cheveux, mais ils sont toujours les mêmes, ce à quoi je lâche un soupir.

Toutefois, je dois comprendre où je suis. Ou plutôt, à quelle époque je suis.

- Psst

Le son me fait sursauter. Mes réflexes ne sont pas les mêmes, je n'aurais jamais sursauté à un simple bruit comme tel. De plus que je ne trouve qu'un jeune garçon derrière moi, caché derrière une grosse caisse de bois. Il me fait signe de le rejoindre.

Avec des pas légers, je le rejoins dans sa cachette improvisée.

- Pourquoi sommes-nous cachés ? Qui es-tu ? je demande sans que je ne contrôle ma voix telle une vraie marionnette piégée dans un corps qui n'est pas le sien.

- J'ai besoin d'un navire, dit le jeune garçon aux yeux étrangement familiers.

Je sens mes mains se fermer dans deux poings ferment qui indique que la fille que je suis est en colère.

- Va-t'en acheter un au port avec les hommes du marché, je ne suis pas intéressée, dit la jeune fille.

Comme mes talons se tournent, le garçon m'empêchent de quitter en s'emparant de mon poignet. Je sens l'irritation de la fille qui grandit de plus en plus.

- Je n'ai pas les moyens de m'offrir ce que ces hommes offrent. J'ai besoin de ton aide. Je travaillais pour ton père et je comprends ton deuil, mais il est temps de changer d'atmosphère et de partir à l'aventure, dit le garçon.

- Si tu crois que je vais te vendre le navire, tu te trompes. Il est à moi.

Le garçon fronce les sourcils en m'examinant comme si j'étais une source soudaine de curiosité à ses yeux, un mystère à élucider.

- Quelle agressivité, tu pourrais même avoir ce qu'il faut pour m'accompagner, dit-il avant de ricaner à ses propres propos.

Ce garçon est fou. Nul besoin de savoir qui le pense, je crois que nous le pensons toutes les deux.

- Jamais une fille serait à la hauteur d'un voyage de pirate. Quelle idée, tu as failli me convaincre, dit-il.

- Je crois que tu as un problème, jamais je ne vais te...

Avant qu'elle ne termine sa phrase, le reflet doré d'une pièce l'hypnotise. Mes yeux sont fixés sur la pièce d'or que le garçon vient de sortir de sa poche. Elle laisse émaner un champ mélodieux qui me caresse les oreilles. Soudainement, mes pensées se transforment et tous mes désirs convergent vers la seule tentation de cette pièce d'or dans le creux de sa main.

- Donne-moi ça, dis-je.

Le garçon ricane et je ne comprends pas pourquoi, je m'en moque même, tout ce qui m'intéresse c'est la pièce. Dorée, dorée, dorée. Si jolie.

- Tu l'auras si tu me montres ton navire.

Sans hésitation, je sors de notre cachette et me dirige vers un navire plutôt modeste. Aucun doute qu'il est possible de traverser les mers à bord de ce navire, mais ce ne sera pas dans un grand confort. Les planches du pont grincent sous mes pieds alors que je saute sur elles et me dirige vers le gouvernail.

Je me rends compte que je suis l'orpheline dans le conte que mon père me racontait. Je vois ce qui s'est réellement passé.

- Enfin, mon navire. Quelle merveille ! s'écrie le garçon dont l'admiration illumine son regard.

Il saute à son tour et fait le tour complet du navire avant de me rejoindre. Mes yeux se baissent sur le gouvernail où je m'attarde à trois initiales inscrites dans le bois. C. B., A. W et E. B. Une pression douloureuse opprime mon cœur et le serre. Une seule pensée me traverse. Mes parents. Ou plutôt ses parents à elle. Ce sont leurs initiales et la sienne. Ils sont morts, noyade leur d'un voyage en mer.

Je me tourne vivement vers le jeune garçon dont le sourire déforme encore le visage. Mon agressivité est de nouveau présente et avec plus de force.

- J'ai changé d'avis, oublie l'échange et dégage du navire !

Il fronce les sourcils et penche la tête sur le côté.

- Je ne crois pas, non.

Comment ose-t-il ? Jamais je n'ai vu autant d'insolence auprès d'une personne. Connaît-il l'honneur ? Le respect ? Ou simplement l'égoïsme ?

Il met la main dans sa poche et ressort la pièce d'or. Mes pensées s'arrêtent à nouveau. Dorée. Si jolie.

- La pièce contre ton navire, propose-t-il.

Il me la tend et je me presse à m'en emparer. Quel échange injuste, il me manipule, j'en suis consciente, mais mon corps est plus fort et la pièce si dorée, si jolie.

Le garçon sourit en regardant à nouveau autour de lui et mes yeux se ferment.

Je les ouvre à nouveau et je me retrouve en pleine mer, en plein milieu du pont, vêtue de la même robe blanche et munie d'une paire de bottes de cuir noir. La pierre du temps vient de m'apporter légèrement dans le futur.

Devant moi se retrouve le même garçon insolent et irrespectueux qui a ensorcelé la jeune fille que j'incarne et un autre garçon différent. Ce dernier est bien plus robuste et grand que le premier. Encore une fois, son visage m'est également familier et je l'observe avec curiosité.

- Qu'est-ce que tu fais là !? dit le garçon insolent, le visage déformé avec la colère.

Je crois comprendre que je viens de sortir d'une cachette. Visiblement, nous sommes en pleine mer et ma présence ici n'est pas désirée.

- Je veux de l'or. De l'or comme celui de la pièce que tu m'as donnée, dis-je.

- De l'or ? Il va falloir que tu te battes pour recevoir de l'or. Vient dont me le voler, dit le garçon, une lueur de défi dansant dans ses yeux.

- Comme tu voudras, dis-je.

Dans une série d'attaques maladroites et horriblement humiliantes, je réussis à perdre l'équilibre et il me rattrape juste avant que la gravité ne m'emporte sur le sol. La fille ressent quelque chose de nouveau en voyant le garçon la rattraper ainsi, le début d'une histoire d'amour qui promet passion et danger.

Il se dégage rapidement en me laissant retrouver l'équilibre.

- Puisque nous sommes déjà bien loin de la côte, nous devons t'accepter au sein de l'équipage.

Équipage de trois bien évidemment.

- Tu n'es pas sérieux, c'est une fille! s'indigne le garçon robuste.

Je lui lance un regard acéré et il se tait.

- Bon assez perdu de temps, je me présente, Victor Wilson, le plus jeune capitaine de ces mers ! s'écrie le garçon insolent.

Mon père. Évidemment, je suis dans le conte de l'aventurier. Le voir ainsi, guidé par l'ivresse de l'ambition et de l'aventure, me réchauffe le cœur.

- Moi c'est James Ratcliff. À votre service capitaine, dit le garçon en faisant une référence devant Victor à laquelle il rit.

Ils se tournent alors vers moi. Mon cœur se serre, je sais soudainement quel nom va souffler sur mes lèvres. Je suis terrifiée, horrifiée même à l'idée, mais je ne peux nier l'évidence qui est là depuis tout ce temps.

- Je m'appelle Élizabeth, Élizabeth Brown, mais tout le monde m'appelle Lizzy.

- Eh bien alors je vais t'appeler Betty.

- Non, c'est Lizzy !

- Je suis d'accord pour le surnom de Betty, vote James.

Et je roule les yeux avant de m'esclaffer à mon tour.