L'or de la piraterie

Chapitre 1: Le départ

- Ruby ! Où es-tu ?

La voix de mon père résonne comme le cri d'un goéland sur le bord de l'océan, familière et rassurante. Je cours vers la voix jusqu'à retrouver la silhouette masculine de mon père. Je me jette dans ses bras. Il me lève comme si je ne pesais rien et me fais tournoyer dans les airs.

- Te revoilà ! Quelle peur m'as-tu donnée en disparaissant ainsi. Je t'avais pourtant interdit de t'éloigner, dit-il.

Son ton est sérieux malgré son sourire et ses yeux joueurs pour me montrer le danger de la situation. Je finis par hocher la tête en riant.

- Ah petite maligne, comment pourrais-je être fâché contre toi ?

Je lui lance un regard espiègle auquel il sourit, conscient qu'il n'y peut rien. Il me repose sur le sol et me prend la main avant de commencer à marcher d'un pas gai et enjoué vers son chariot de marchandise.

Le marché est bondé à l'heure qu'il est. Les bateaux reviennent au port, remplis de leurs poissons et de leurs épices pour la plupart et d'or et de trésors pour les plus dangereux.

Nous arrivons au chariot où je retrouve ma meilleure amie ; Saphir, un cheval majestueux à la peau d'un brun profond et à la crinière noire couleur nuit.

- Saphir! je crie en courant vers elle, toute joyeuse.

- Salut ma belle, tiens voilà pour toi, dit mon père au cheval en lui tendant quelques carottes achetées au cours de la journée.

Certains soirs, mon père peut se permettre de nous acheter de bons repas à Saphir et à moi si la journée avait été fructueuse, mais il y a d'autres soirs, ceux qui suivent de longues journées pénibles, où l'argent manque. Tout dépend des clients et du village dans laquelle nous nous trouvons. Étant fils de marchand et désormais marchand à son tour, mon père voyage de villages en villages, toujours restant au bord de l'océan afin d'échanger ses produits contre d'autres produits venant des navires de marchandises. Parfois, il effectue des voyages de commerce pour un client précis, me laissant chez une famille locale qui prend soin de moi. Toutefois, il évite ces clients malgré la généreuse somme qu'ils apportent. Je n'ai jamais osé poser de questions sur eux.

Aujourd'hui, nous voilà mon père et moi à Harbor, grand village côtier reconnu pour ses épices rares et uniques. D'ailleurs, c'était la raison de notre venue. Mon père doit faire un échange ce soir même au port du village.

Mon père me tend un morceau de pain avec une pomme que je dévore avec avidité, affamée.

- Je vais devoir vous laisser, Saphir et toi, quelques heures pour aller chercher la marchandise, je ne serai pas long, dit-il.

- C'est compris père, je suis habituée.

- Et n'oublie pas, si...

- Si tu ne reviens pas quand les étoiles apparaîtront, je dois partir le plus loin possible avec Saphir, je le sais, dis-je en soupirant.

Il me sourit et mange un peu avant de m'embrasser tendrement sur le front, sur le point de partir.

- Je t'aime ma puce, je reviens dans quelques heures, dit-il.

- Je t'aime aussi père, dis-je en le regardant quitter en reculant.

Après un moment, il disparaît et je commence à flatter Saphir tout en dégustant une autre carotte que mon père a laissée. Je n'aime pas qu'il me laisse ici, mais il prétend que je suis encore trop jeune même si, selon moi, huit ans est un âge mature et responsable.

- Saphir, tu vas voir, bientôt je serai assez grande pour aider père et nous deviendrons plus riches, assez pour acheter une maison où nous ne manquerons jamais de rien, dis-je.

Saphir hennit doucement en signe de réponse et je lui souris, portant mon regard sur la mer plus loin. La mer m'intrigue, elle m'a toujours intriguée, mais je n'y connais rien en navigation. Je vois à l'horizon la silhouette d'un bateau s'approcher. Je m'approche de la rive, laissant le chariot et Saphir à quelques mètres derrière moi. Le bruit des vagues m'apaise et les goélands se donnent à cœur joie par leurs cris si nombreux en ce crépuscule si doux et si beau. La noirceur s'empare peu à peu du paysage m'entourant et bientôt les fenêtres se ferment, les mères appellent leurs enfants et les chiens cessent d'aboyer. J'aime ce calme serein qu'apporte la nuit. C'est un moment de répit, une pause de tout le vacarme que les gens créent. 

Le bateau qui avait attiré mon attention plus tôt se rapproche et se dirige vers les quais du village que j'aperçois de loin. C'est là où mon père se trouve en ce moment.

Je reste un long moment assise sur la rive à contempler les vagues douces et chaudes qui viennent chatouiller mes orteils. J'étais sur le point de me demander combien de temps je suis restée assise quand le hennissement d'un cheval me fait sursauter. 

Je me lève d'un bond et me retourne. C'est Saphir. Un groupe d'hommes pille le chariot de mon père et deux d'entre eux détachent Saphir. Je retiens mes cris en les voyant emmener Saphir dans la pénombre des ruelles et voler tous les biens que nous possédons. Ils arrachent et déchirent mes vêtements, frappent le chariot avec leurs pieds, volent tout objet de valeur, la monnaie, les bijoux que mon père m'offrait. L'un d'eux se tourne dans ma direction, mais ne semble pas me voir dans mon coin sombre. Son horrible sourire évoque la méchanceté et l'avidité et ses yeux dont la couleur diverge me glacent le sang. Les larmes coulent sur mon visage et je pleure en silence en fermant les yeux devant cette scène qui détruit tous mes espoirs et tous mes rêves.

Puis je pense à mon père et ouvre les yeux pour regarder le ciel. Les étoiles brillent de mille feux. Mon estomac se noue et mes larmes coulent de plus belles. À présent, il ne me reste plus qu'une chose à laquelle je tiens : le collier qui pend à mon cou. Il appartenait à ma mère. Je pense à elle en regardant les étoiles.

- Mère, aidez-moi je vous en prie. Je ne crois pas avoir la force de surmonter cette épreuve. J'ai besoin de vous. Que dois-je faire?

Une étoile filante traverse soudain le ciel si vite qu'un seul clignement de l'œil aurait pu la rater. Forte. Tu dois être forte.

Je me lève et serre les dents à la vue du chariot ravagé. Je détache le collier de mon cou et le cache dans la poche de mon pantalon.

Si la vie décide d'être sans pitié avec moi, je déciderai de le devenir pour elle également.