11 - Porte et tablette

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Revenue dans ma chambre, je me jette sur mon holocran pour y lire la tablette. Je dois vite la copier pour la remettre à sa place. Mais la douleur est là qui ralentit mes mouvements maintenant que je suis à l'abri dans ma chambre. J'ouvre ma fenêtre et j'aspire à grande goulée l'odeur florale et végétale de l'irthe. Le vent souffle à travers moi, chassant mes pensées et me vidant la tête tout en convoyant une urgence. J'ouvre la bouche pour le laisser pénétrer ma gorge, le goût sucré de l'irthe ne me suffit pas et mes poignets me démangent. Je suis tiraillée entre succomber à l'appel de l'irthe, celui de l'épopée et m'apitoyer sur mon sort. Je m'assois contre le mur intérieur de ma chambre et reste hébétée quelque temps. Les larmes viennent, puis se tarissent, me laissant dans une sorte de brouillard. Je comprends vaguement que je suis sous le choc et j'attrape mon bonnet pour l'enfoncer à fonds sur ma tête. Je sais que sa présence me rassure, m'anesthésie est le terme qui me vient à l'esprit mais je chasse cette pensée inopportune. Je ne veux pas analyser ce qu'il m'arrive. Me perdre dans l'épopée, laisser les images m'envelopper et ne plus penser, voilà ce que je souhaite. Pour amoindrir le trou qui s'élargit dans ma poitrine, je serre mes genoux dessus. J'attrape l'holocran, qui vient presque me toucher le nez. L'emblème des barbelés sur fonds rouge apparaît quand on frappe à la porte.

Je reste immobile, indécise. Sous la porte, la raie de lumière tronquée laisse deviner la présence d'une seule personne. "Morgane ?" demande la voix de l'abbé. J'ai vu son rideau bouger en revenant à la chambre. Je m'en suis inquiétée avant de me rappeler que c'était l'emplacement de son fauteuil de lecture. J'ai cru qu'il l'avait déplacé en s'y asseyant. J'ai eu tort apparemment. J'attends jusqu'à ce que l'ombre quitte mon seuil. En écoutant les pas s'éloigner, je fixe l'image de l'holocran. Je reste un moment immobile alors que tout bruit a cessé avant de m'ébrouer. Je copie la tablette et me lève pour la ramener. J'ai hâte de voir comme mon frère lui arrache la peluche des bras à ce petit morveux. Parce qu'il n'a pas pu la lui laisser, n'est-ce pas ? J'ouvre la porte et après avoir vérifié que la voie est libre, je prends le couloir puis l'escalier.

— Morgane !

L'abbé m'attend dans l'embrasure d'une porte. Une porte que je ne connais pas, que je ne connais plus, j'ouvre la bouche et la laisse ouverte, indécise. Sans savoir pourquoi, cette porte m'évoque Marley.

— Nous n'avons pas le temps. Je sais que tu as la tablette, sa disparition a été découverte. Donne-la-moi. Je dirai que c'est moi qui l'ai prise, murmure-t-il.

Je me revois lever la tête pour regarder Marley, au seuil de cette porte. Je devais lui arriver au bassin.

— Morgane ! répète l'abbé d'une voix instante mais toujours basse.

Je reste bouche bée jusqu'à ce qu'il m'arrache le bonnet de la tête, ce qui eu pour effet de me faire sortir de ma torpeur.

— Donne-moi la tablette, et fais ce que tu as à faire, et sans ton bonnet. Le temps nous est compté désormais. L'éveil approche. Et demain, nous parlerons, explique-t-il en tendant la main.

— Ok, dis-je, hésitante, en lui tendant la tablette. Merci.

La signification de ses paroles m'échappe. Toute mon attention se focalise sur la porte à l'arrière de l'abbé, j'y vois un halo légèrement bleuté. Le sentiment d'urgence perçu en ouvrant la fenêtre me revient. Un souvenir flotte à la frontière de ma conscience.

— Morgane !

Je reviens à mon interlocuteur qui a la tête un peu penchée en arrière, ce qui me fait penser aux limes. Celui qui nous avait accueilli avait eu ce mouvement.

— Allez, va. Ce n'est pas le plus important pour le moment. Garde le bonnet pour l'instant, dit-il en me le remettant et il me montre le chemin de ma chambre.

Je sens mon échine se dresser et un rejet de ce couvre-chef me gagner. Mais j'obéis. Dès le seuil franchi, je retourne me blottir sous ma fenêtre entrouverte avec mon holocran. J'enlève mon bonnet.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant