Chapitre 25 - Morgane et collerette

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Je me retrouve à tenir les hanches du neveu allongé de Kim pendant que lui-même est à califourchon sur son torse. Il lui tient les épaules avec ses genoux et essaie de lui remettre le bâillon. Des restes de soupes et de légumes divers sont répandus sur le sol entre des racines, ainsi que des morceaux d'assiette. Une cruche renversée déverse son contenu plus loin. Je devine qu'il devait manger quand une nouvelle crise est survenu. Je regarde l'escalier avec inquiétude. J'avais déjà refermé la porte quand les premiers hurlements ont éclaté mais ils ne peuvent que se faire entendre plus haut, même à travers l'épaisseur de la roche. Je prends une profonde inspiration, la senteur florale de l'irthe me rassérène. La faible luminescence bleutée qui filtre à travers toutes les parois évoque plus un cocon qu'une geôle pour neveu malade. J'aimerais comme hier rejoindre mon lit de lianes.

— Ouch !

Ma distraction m'a coûté un coup de genou dans le ventre, je me hâte de les bloquer avec les miens et je reporte mon attention sur le visage congestionné de Rénio de nouveau bâillonné et furieux de l'être. Le regard que je croise est affolé. Lui non plus ne comprend pas ce qui se passe.

Une odeur âcre attire mon attention sur un liquide chaud qui se répand sous lui, je regarde Kim qui se relève. Rénio semble se calmer. Je regarde sa masse saucissonnée et je réalise que je le connais. Il était dans le café avec mon opposant.

— C'est un lion, dis-je

— Oui, répond Kim. Ma sœur a voulu le garder auprès d'elle pour la collerette. Il arrive que dans les meutes, ce ne soit pas fait proprement.

— Il y a des garous dans tes gènes ? m'étonné-je

— Comme dans toute famille, déclare-t-il, comme révélé dans les circonstances appropriées.

Je repense à l'épopée. Tous les backens sont garous, sauf les limiens restés avec mon frère.

— Et pas toi ? demandé-je

— C'est le prix à payer pour travailler pour l'Église. Pouvons-nous en parler une autre fois ? Je voudrais me concentrer sur ce qu'on doit faire.

Son regard se perd dans la contemplation de son neveu.

— Je vais chercher une serpillière, annoncé-je.

C'est mon excuse pour explorer un peu plus la salle. Je m'approche d'un tas d'ustensiles empilés sur le côté : assiette, bol, verre, couverture. Pas de matériel de ménage mais un tronc s'élève à côté. Je l'enserre de mes deux bras et le respire à plein poumon. Que c'est bon cette odeur d'irthe et de végétal mêlée. "retour" et "bienvenue" sont les mots qui sont véhiculés par les senteurs.

— Va derrière le rocher arrondi avec une cage, me lance Kim en se relevant.

Je me détache avec regret pour me diriger dans la direction indiquée. Dans une petite cage en bois volètent des papillons bleus, une tache de lumière presque éblouissante et inutile dans la clarté ambiante. Je me protège les yeux d'une main pour regarder. Dans une anfractuosité, je découvre un sceau et une serpillère que j'amène. Quand je reviens, je m'aperçois que tout a été absorbé et même qu'une radicelle s'est déplacée pour profiter du liquide.

— De la nourriture pour les plantes, explique Kim.

Bien sûr que c'est bon pour les plantes. Je me sens idiote avec ma serpillère mais je chasse ce sentiment après une bouffée d'irthe. J'apprends. Nous pouvons vivre en symbiose avec la Madrée, réalisé-je. Nous mangeons ses fruits, elle se nourrit de nos excréments, mais aussi de nous.

Je m'agenouille pour ramasser les débris de vaisselles et les placer dans le seau.

— Je suppose que les limiens donnent leur corps à leur mort à la Madrée ? demandé-je

Je retourne porter la serpillère à sa place. Je m'arrête devant le boyau par lequel je suis arrivée, celui faisant toboggan et arrivant dans le puits avec le matelas de lianes où j'ai dormi.

— Bien sûr, répond Kim, nous les enterrons au pied des arbres.

L'Église récupère les corps. Ils sont utilisés pour faire du terreau, pour des cultures bien à l'abri de l'influence de l'irthe.

— Cette ouverture, ici, elle communique aussi avec Casteldelphy, dis-je.

J'ai essayé de retrouver l'entrée quand je suis descendue rejoindre Kim mais impossible même de retrouver son emplacement. C'est comme si elle n'avait jamais existé.

— Oh, je ne l'avais jamais vu, dit Kim.

Je sursaute car je ne l'avais pas entendu s'approcher de moi. Il se déplace sans bruit, ce que j'ai toujours admiré chez lui.

— Ce doit être un passage préexistant qui a été bouché par la construction, ajoute-t-il après réflexion.

— Je l'ai pris le premier jour, c'est par là que je suis arrivée.

Le regard de Kim passe de l'ouverture à moi et y retourne. Il soupire.

— Nous avons plus urgent à traiter, dit-il. Les hurlements de Rénio n'ont pas pu passer inaperçus.

— Tu crois ? dis-je bêtement alors que je m'étais fait la même réflexion.

Pas dupe, il m'adresse un sourire qui illumine son visage.

— Ils ont dû commencer à en chercher les causes là-haut. Chaffa doit explorer les maisons souterraines. Nous pourrions laisser courir, il y a des grandes chances qu'ils ne trouvent pas cet endroit. Cependant, Rénio peut crier de nouveau. Nous allons devoir le déplacer et comme il crie fort et que nous ne sommes pas sûrs qu'il ne puisse être entendu de nouveau, nous devons donner une explication plausible, qui évite les recherches approfondies.

Je me souviens alors de pourquoi je suis descendue voir Kim.

— Je pars chercher mon frère. Je vais emmener Rénio avec moi, dis-je. Il pourra crier dans la forêt.

Mentalement, je croise les doigts, attendant que Kim me dise qu'il m'accompagne. Mon mentor ne prend même pas le temps de réfléchir.

— Il n'est pas transportable, assène-t-il d'un ton agacé. La seule idée qui me vient ne va pas te plaire, ni à l'abbé.

Je me tasse un peu sur moi-même, me sentant rabaissée. Et l'idée de Kim ne fait qu'empirer mon sentiment.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant