Chapitre 26 - L'épopée : Gérald

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Dans la forêt, des oiseaux multicolores virevoltent et créent leurs nids. Des cervidés broutent l'herbe rouge. Une sirène retentit et tous tournent la tête vers des barbelés dressés après un terrain nu. Derrière se trouve le camp de préservation.

Dans leur baraquement, les garous sont sous forme humaine. Ils sont assis en tailleurs devant un tableau improvisé constitué d'irthe mouillée jetée sur un mur. Église, intercesseur, haut-prêtre, représentant y sont écrits. L'Église est constituée des descendants des membres des premiers vaisseaux, explique Gérald le boiteux. Ils sont regroupés en quatre meutes selon leur animal : éléphants, dauphins, rhinocéros, aigles.

Je rigole intérieurement, m'imaginant nager dans la fontaine asséchée. Cela me fait du bien de me détendre après les derniers événements.

— Leur accord avec la Madrée stipule qu'ils restent en contact par un intercesseur, censé naître toujours au sein d'une des meutes.

— Et quand la Madrée choisit un autre bébé ? demande une femme aux cheveux rouges mêlés de cuivre

— D'après eux, cela n'arrive pas. C'est tout ce que je peux vous dire car l'intercesseur ne parle jamais directement aux fidèles, que par l'intermédiaire de l'Église qui le cache sur la roche. De plus, les prêtres sont de moins en moins visibles, au profit des représentants armés de l'Eglise.

— Comment entre-t-il en communion avec la Madrée s'il est sur la roche, où tout arbre est supprimé ? demande la même voix.

Une deuxième sirène s'élève.

— Il est temps d'arrêter cette séance, dit Gérald. à demain.

Un brouhaha éclate, les élèves discutant entre-eux en se levant d'un bond souple alors que leur professeur s'appuie sur les deux bras et sa jambe gauche pour entreprendre de se trainer vers un baquet plus loin.

Je reste pensive un moment. Rugar est un soldat, l'abbé est un prêtre. Le pouvoir appartient aux soldats. Je ne m'en étais jamais fait la réflexion.

Luau et Ange entrent précipitamment dans le baraquement.

— Nous sommes désolés, Gérald, les brigadiers sont restés plus longtemps que d'habitude, nous ne pouvions pas nous éclipser. As-tu besoin d'aide ? demande Luau, essoufflé, en déposant une chaise

— J'ai amené de l'eau, annonce Ange, en déposant un sceau.

Avec un grognement d'effort ou de remerciement, peut-être les deux à la fois, Gérald commence à mélanger de l'irthe avec de l'eau, créant une sorte de pâte. Soulevant sa spatule pour juger de la consistance, il fait la moue avant de faire signe à Ange qui incline son seau pour faire couler le liquide.

— Je t'ai amené de quoi poser tes instruments, tu pourras ainsi travailler debout, lui dit Luau.

Il se tourne vers Ange avant d'ajouter :

— à moins qu'il ne vaille mieux qu'il ne soit par terre pour sembler inoffensif ?

— Je commencerai à terre et je monterai au fur et à mesure du travail, comme doit être fait un bel ouvrage, gronde Gérald.

Ange lève les mains en signe d'impuissance et sourit à Luau avant de tourner les talons. Tous deux s'éloignent pendant que le maçon empoigne la truelle, la plonge dans le ciment d'irthe et l'étale sur les fissures. De temps à autre, il prend une pierre d'un tas près du mur et l'ajoute pour consolider l'ensemble.

La sirène retentit, la dernière des trois annonçant la fin de la journée. Tout le monde doit alors se rendre dans les baraquements et de nouveaux garous rentrent, contournant Gérald, imperturbable. Le brigadier le trouve ainsi lors de la dernière ronde du soir avant le couvre-feu et stoppe pour le regarder faire. C'est le silence. Les derniers arrivés se taisent en voyant un de leurs geôliers chez eux et se rendent directement à leurs couchettes sur lesquelles ils s'assoient. Au bout de quelques instants, Gérald se retourne et dit, sur un ton de conversation :

— ça fait du bien de retrouver son métier.

— Je me disais bien que tu connaissais ton affaire, répond le brigadier sur le même ton. Tu sais réparer toute sorte de mur ?

Gérald se relève en s'appuyant avec lourdeur sur la chaise.

— Oui, répond-il, j'ai travaillé sur la roche de l'Église pendant cinq années irthiennes.

Le brigadier hoche la tête, et repart, sortant du baraquement après un regard circulaire.

— Le poisson a mordu à l'hameçon, dit Ange en s'approchant de la scène.

— Il faut maintenant qu'il convainque ses collègues que Gérald est assez inoffensif pour le faire entrer et travailler dans leurs logements, réponds Luau.

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L'emblème de la meute apparaît, puis disparaît. Le mur n'est pas gris cette fois, plutôt jaune pinson.

— C'est plutôt gai, commente Ange.

Sa chemise usée est ouverte et sa collerette est clairement visible. Il doit avoir presque mon âge à présent. Ce n'est pas facile à juger mais je dirai qu'il reste plus jeune que moi. Les images ne sont donc pas contemporaines.

— C'est l'œuvre de Goye, il a eu le droit d'emmener le reste de peinture. De mon côté, je dois terminer dans trois jours car le Brigadier Arin va repartir dans sa famille sur la roche. Je pourrai prendre aussi ce qui restera.

— Bien, dit Ange. Tout le monde part ?

— La moitié des gardes sera du voyage, d'abord, puis la relève arrive et l'autre moitié part également, répond Gérald.

Il s'appuie sur une petite table placée dans un coin d'un baraquement. Pas un trou dans le mur, pas une éraflure à la peinture. Nous sommes chez les garous.

— Cela correspond à ce qu'a appris Goye en peignant le mur des toilettes du brigadier Mako, dit Luau.

Il amène avec lui deux tasses fumantes qui viennent rejoindre celle devant Ange déjà assis.

— Oui, dit Ange. Goûte cette boisson Gérald. C'est de la verveine terrienne. Un délice. C'était jeté par les brigadiers Il faudrait encore qu'on trouve un arbre à sucre et ce serait le paradis - presque !

Gérald le regarde sans expression un moment puis se fend d'un sourire et commence à boire avec précaution pour ne pas se brûler.

— Qu'est-ce que cela fait du bien d'avoir quelque chose autre que cet infâme soupe !

— La bonne saison arrive, nous allons avoir aussi quelques légumes, dit Luau.

— Bien, reprend Ange, dessinant rapidement sur le sol un plan. Et que peux-tu me dire sur la configuration du logement, est-ce le même que celui où travaillait Goye ?

Gérald se penche sur le dessin, en s'appuyant d'une main à une chaise pour ménager sa patte raide.

— La fenêtre de la chambre est plus à droite, et...

Deux coups brefs, suivi d'un long, l'interrompent.

Ange efface rapidement le plan en disant :

— Nous avons de la visite. 

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant