Chapitre 39 : L'épopée - C'est pour ce soir

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La lune violette Ménès la douce surplombe la trouée dans la forêt du camp. Kuhu la perfide se lève à l'horizon. Son surnom vient du fait que la peau des purs brûle sous ses rayons roses. Mes tentacules tressaillent. L'apparition des deux satellites marque le début du printemps et la racine à laquelle je suis reliée s'en réjouit. Pour nous, ce sera dans quelques jours.

Une silhouette se faufile dans la nuit. Elle se glisse entre des baraquements. L'absence de potagers le long des murs signe la zone des survs. Aucune lumière ne brille aux fenêtres, l'heure du couvre-feu est déjà passée. Le promeneur hâte le pas quand il doit traverser des zones baignées par l'éclat des lunes. Sa peau sombre trahit son appartenance à la meute d'Ange. À sa haute taille et sa démarche souple, je reconnais Luau.

Sa main gratte sur une porte qui s'ouvre sur un visage au nez fin et recourbé.

— C'est pour ce soir, annonce-t-il. Tenez-vous prêt.

Randa opine du chef et ferme sans bruit après avoir balayé l'extérieur du regard. Son interlocuteur a déjà disparu. Elle se dirige vers un coin des baraquements. Une silhouette en forme de poire la suit en se dandinant, Miro, et l'aide à déplacer un lit. Sous un tas d'outils, qu'ils déblaient en silence, ils creusent un trou à mains nues. Des paquets en sont extraits, bien emballés dans des tissus. Des vestes et pantalons gris sont assemblés par tailles. L'atelier de couture de Ange a bien travaillé. Tous s'en habillent sans un mot, revêtant l'apparence de gardiens. Randa aide Marley pendant que Max enfile du noir.

Miro et Lagna portent de concert les mains aux oreilles, pour indiquer un bruit à l'extérieur. Leurs deux familles sont réputées pour leur excellente ouïe. Tous les survs se recouchent et le brigadier qui jette un œil rapide lors de sa ronde ne remarque rien. Il faut dire qu'il regarde à peine. Même à mes yeux novices, cette ronde semble sommaire.

— Mon petit a commencé à marcher, crie le brigadier Mako quand il retrouve son collègue Arin.

Leurs visages sont cachés par un masque ne laissant voir que les yeux pour éviter les rayons de Kuhu. Ils doivent élever la voix pour se faire entendre et Arin se rapproche de lui en tendant l'oreille. Son interlocuteur répète avant qu'il commente :

— Il était trop impatient pour attendre le retour de son père !

— J'ai hâte de le retrouver, confie Mako. Nous allons pouvoir nous rendre tous ensemble à l'intronisation du nouvel intercesseur. C'est un événement marquant dans la vie d'un enfant, sa première cérémonie.

— Oui, je me souviens de ma première. Il y avait cette demeurée qui criait que ce n'était pas la bonne tasse.

— Oui, c'était une métis. Ils ne sont pas stables, l'Église a raison de les interdire.

— Que dis-tu ? demande Arin. Non, ne répète pas, on parlera plus tard. Je dois finir mes bagages avant le départ. Je donnerai un petit coup de balai pour le vieil Harry qui va me remplacer. Il sera surpris de voir que les murs sont repeints, merci de m'avoir envoyé ce prisonnier, Goye. Il a fait du bon travail.

Mako hoche vaguement la tête, il n'a pas compris.

Les portes des maisonnettes des gardiens claquent dans le silence de la nuit. C'est le signal pour les surv', tous se relèvent dans l'obscurité. Les silhouettes se croisent dans l'habitat. Miro et Lagna frôlent les parois de leurs oreilles. Marley est à quatre pattes sur le sol pour sentir les vibrations. Marik amène son nez au niveau de différents trous dans le mur pour humer. Randa se contente de jeter un œil à travers les fenêtres. Quand tout le monde a pu vérifier l'absence de dangers, ils sortent sans bruit.

Des ombres passent au loin. Randa, de dos, fait quelques signes avec les mains, les autres lui répondent en hochant la tête. Elle va s'élancer quand elle se retourne. Un homme est appuyé contre le mur et vacille. Marley. Elle se place à ses côtés et plaque sa paume sur le front de son compagnon. Avant qu'elle ne la retire, une silhouette massive se découpe dans l'obscurité lui saisit l'épaule. Balançant de gauche à droite son chignon ridiculement petit, elle soulève le pied et s'apprête à le taper sur le sol. L'ombre frêle de Marik s'interpose. Lagna Rino repose doucement la jambe et agite les mains, semblant dire de se dépêcher.

Cette fois-ci, Randa est face à moi et je décrypte son message exprimé en signes militaires Delphy. Elle demande à la Rino de partir en avant et annonce qu'elle va rester avec Marley.

Marik se glisse sous l'épaule de mon frère que ne soutient pas Randa et ils avancent dans la nuit, suivi de Max.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant