16 - Morgane : cachée en pleine vue

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— Initiée ? répété-je

Kim avait aussi parlé d'initiation dans la forêt. L'abbé s'est approché de moi et éloigne doucement ma main du bord. Je me relève sous son impulsion et il me tire ainsi jusqu'à la margelle. Un fourmillement à la base de mes poignets m'indique que mes tentacules se rétractent, je n'avais pas eu conscience de leur sortie. Mentoro attrape l'autre bras et passe les pouces sur les petites bosses avec un sourire fasciné. J'attends, ne sachant que faire d'autre.

— Ta mère et ton cousin vont revenir bientôt, j'ai encore quelques révélations à te faire avant de t'expliquer l'initiation, affirme-t-il en me libérant.

Il reprend son souffle.

— Tu es mi-fils de la forêt — Sylphide —, mi-humain. Et, comme malgré ce qu'en dit l'Église, nous sommes tous influencés par la planète, je pense que nous pouvons dire que tu es plus enfant de la Madrée qu'humain. Tu es fait pour vivre à l'extérieur, hors de nos murs aseptisé. Dans nos murs, tu es plus lent d'esprit. Le bonnet tient ce rôle à l'extérieur. Nous t'avons enlevé tout ce qui pouvait te permettre de développer ta nature, pour te cacher en pleine vue : nous t'avons interdit la forêt car tu y étais trop à l'aise, le tir à l'arc car tu y étais trop bonne, donné des cours soporifiques en intérieur pour que ton intelligence des médas reste cachée après ton retour de la cérémonie d'intronisation de l'intercesseur officiel.

Beaucoup de choses étaient importantes dans ce qu'ils disaient, mais une seule m'importait.

— Alors je peux parler et penser aussi vite que les autres ?

Nous avions tous deux des larmes dans les yeux.

— Oui, je suis désolé d'avoir dû t'imposer cela. Tu t'étioles à l'intérieur. C'est pourquoi, nous avons vite instauré avec Kim tes entraînements extérieurs avec les gardiennes des Limes, les Limières. Elles ne sont pas très considérées car devant se battre dehors au contraire de la garde du domaine.

J'ai plongé le regard dans l'eau absente et j'ai demandé :

— Que suis-je ?

— Au minimum une intercessrisse de notre Église, et pour la première fois depuis des siècles, tu sembles appelée ailleurs.

— L'épopée ?

— Oui

Je restai silencieuse. L'abbé prit la parole. Sa voix vibrait de l'intensité du message.

— Il y a encore 20 ans, le fait d'avoir une conception demandée par un intercepteur t'aurait garantie les honneurs. Et maintenant, tu es exclue de la société. Cela me révoltait jusqu'à ce qu'apparaisse cette épopée. Me suis-je trompée en t'éduquant ici ? Aurais-je dû t'emmener dans les limes ? peut-être.

Cela dépendait peut-être plutôt des instincts protecteurs d'un futur Maestro, pensé-je mais je préférai demander :

— Le rôle des intercesseurs est d'être le lien avec la déesse...

— ... avec la Madrée, Morgane, avec la Madrée. L'Église a même changé son nom !

— Et vous dans tout cela, Mentoro, n'êtes-vous pas l'Église ? Les militaires sont au pouvoir, mais l'Église n'est-elle pas censée être une entité religieuse ?

— Au départ oui. Nous sommes plus anciens que ce qu'on appelle l'Église. Un ordre de moine pré-existant à l'arrivée de la première intercessrice. Notre rôle est de veiller sur eux et sur les enfants ayant ce qu'appelle l'Église une infirmité, ne pas avoir d'implant par exemple. Au départ, les militaires étaient employés par l'Église pour maintenir la sécurité ou pour les missions d'exploration. Ce sont maintenant eux qui commandent et ils veulent réécrire l'histoire. D'ailleurs, ...

— Que fais-tu là, Morgane ? demande la voix de Fario. Le patio n'est autorisé qu'aux membres de la famille.

De là où il est, il ne voit pas l'abbé. Celui-ci se lève pour lui rétorquer d'une voix forte :

— Être exclue de la succession ne veut pas dire être exclue de la famille, Fario.

Tous deux se défient du regard.

— Fario, je suis encore la maîtresse ici et Morgane est ma fille, crie ma mère pendant que l'abbé me remet le bonnet.

— Une chose encore, me chuchote-t-il. Les voies de la Madrée sont impénétrables. Mais si ses enfants sont appelés ailleurs, cela préjuge certainement de la fin de l'Église.

Je sais que je devrais réagir, mais j'accepte ses paroles. Il m'emmène doucement à l'intérieur, passant à côté de mon cousin qui semblait chamboulé par la diatribe de ma mère. Je souris en y repensant, tout en réalisant que j'aurai dû jubiler. Renfiler mon bonnet me rend apathique. Je fronce les sourcils mais les paroles suivantes de Mentoro me distraient de ma réflexion.

— Tu as à faire dans ta chambre, je crois, me souffle-t-il. Kim est occupé ailleurs, profites-en.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant