17 - L'épopée : arrivée au camp

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Je suis happée par la suite de l'épopée et j'oublie tout le reste. Une fois arrivés dans le camp de Préservation, une sorte de terrain vague hérissé de baraquements de fortune, les prisonniers se sont regroupés : d'un côté les backens, de l'autre, tous les autres, je dirai, c'est-à-dire, mon frère et les garous non backens. Ces derniers se sont surnommés les surv, pour survivants. Ils se réunissent autour de ce qui semble être le lit de mon frère. On le voit avec un énorme bandage sur la tête et je constate avec satisfaction que quelqu'un lui donne mon doudou-éléphant-à-qui-il-manque-une-oreille. Des discussions animées ont lieu. Ils veulent combattre les backens, afin de se venger de leur état de prisonnier, je suppose. On les voit se transformer en loups, lions. L'un se transforme même en girafe et se retransforme aussitôt en humain, c'est une forme certainement plus efficace pour combattre même si je doute de la combativité du caractère de la girafe. Ils crient, rugissent, lancent des menaces. De leurs côtés, les backens restent calmes et se disposent en cercles autour du sorcier et de l'enfant, ainsi que de quelques vieillards. Les survs se ruent sur eux, et la caméra se déplace. Elle suit mon frère qui ne semble pas être intéressé par la bataille. Je suis fière de lui, il a raison, ce ne sont pas les backens l'ennemi. Il revient dans une sorte de cabane et je le vois chercher quelque chose.

"Un enfant de quelques années tient un éléphant en peluche auquel il manque une oreille. Il s'accroche désespérément au doudou, s'enroulant presque autour, s'enfonçant dans la pénombre d'un coin et le regarde avec fixité... Son visage à la peau vert-foncé prend une expression fermée. Je prends conscience d'un bruit de bataille, et Marlow jette un coup d'œil en arrière...". Un moment, je me revois au café, au moment où ce passage m'a frappé de plein fouet.

Je retiens mon souffle. L'homme et le garçonnet se toisent en silence. Puis Marley, tout en restant face à lui, soulève un panneau et lui montre une déchirure vers l'extérieur, à l'arrière du bâtiment, à l'opposé des combats. Sans un mot, l'enfant part avec N'a-qu'une-oreille.

J'éteins le poste avec satisfaction, l'épopée est beaucoup plus facile à regarder maintenant que c'est une histoire nouvelle pour moi. D'habitude, j'ai une nouvelle séance d'entraînement avec Kim mais je me souviens que l'abbé m'a avertie qu'il était occupé ailleurs. Est-ce que cela signifie que je peux continuer ? Après un regard vers la forêt et une bouffée d'irthe en ouvrant la fenêtre sans bruit, je rallume.

Après la bataille, les backens tiennent un conseil animé par le sorcier. Il se présente comme le Gardien de Ange, qui se tient impassible à côté de lui. Certains backens échangent des murmures et effectuent une petite salutation. D'autres ont un petit sourire, d'autres indifférents. Je suppose que cela reflète la diversité de leurs tribus et croyances d'origines. Comme si notre grand prêtre présentait l'enfant intercesseur à des hérétiques. Le sorcier se lance ensuite dans un discours enflammé, annonçant qu'ils doivent se serrer les coudes, s'entraider, partager. Et cela marche. On les voit s'organiser pour leur installation dans les baraquements, accomplir des réparations et se montrer comment faire, des cours s'organisent sur tous les sujets, surtout pratiques. Je suis ébahie par ces gens que l'on m'a appris à considérer comme inférieurs. Les seules images des surv que l'on voit sont lors d'échauffourées. Priorité est donnée de ce fait aux cours de combat pour tous et un backen ne se déplace jamais seul. Même si un gardien vient le chercher ou s'il reçoit l'ordre de se rendre seul quelque part, il est accompagné, avec discrétion s'il le faut. De temps en temps, ils croisent des surv. Ceux-ci ont toujours l'air de s'ennuyer alors que les backens s'activent. Comme les domestiques qu'ils sont, me dis-je, mais je ne me convaincs pas moi-même. 

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant