Chapitre 36 : Morgane -le moine errant

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- Tu as les yeux liquides de la Madrée. Tu t'es initiée seule, je suis désolé. Rhinée et moi t'attendions pour la réaliser ensemble. Kim t'avait bien passé le message ? demande l'abbé.

Il est venu sans bruit, précédé par l'annonce de son arrivée par les racines. Que lui répondre ? Que j'avais préféré découvrir la suite de l'épopée. Ce n'est pas tout à fait vrai. Je m'étais sentie trahie, trahie... alors que tout rentrait dans le schéma de la Madrée. Comme elle savait jouer avec le psychisme humain !

- La Madrée continue de me montrer ce qu'il advient au camp. Les tablécrans émanent d'elle, elle peut aussi s'en passer et diffuser les images directement dans l'esprit. Est-ce ainsi de posséder un implant ? interrogé-je.

L'abbé sourit.

- Nos deux civilisations s'inspirent l'une de l'autre, et se rapprochent.

Je l'étudie, me demandant comment il communique avec la Madrée.

- Marley était implanté, me contenté-je de dire

- Oui, bien sûr

- Pourtant, vous l'avez élevé dans la foi madrééenne, énoncé-je.

- Pas tout à fait, mais il te couvait beaucoup. Il avait à cœur de compenser le manque de temps de ta mère. D'instinct tu percevais et comprenais les indices de la Madrée dès que tu as pu te déplacer. Il en a tenu compte de plus en plus.

Quelle jolie façon de parler de la froideur de ma génitrice.

- Est-ce vous ou les signes qui l'ont incité à se rendre à cette Fête foraine?

Je l'examine avec attention. Son visage rond forme une boule, sensation accentuée par son crâne rasé. Sa peau autrefois tannée a pâli avec son séjour dans les murs de CastelDelphy. L'abbé plonge ses yeux gris dans les miens. Ils ne présentent aucun symptôme d'une présence non humaine. Il ne répond pas.

- À moins que ce soit le moine errant ? Quand Maestro en a parlé, j'ai d'abord cru que c'était votre ordre qui était désigné ainsi, m'impatienté-je.

J'avais lancé ce mot au hasard, puisque c'était le terme qu'Ange avait utilisé

Le regard de l'abbé s'emplit de compassion. J'ai l'impression de redevenir une enfant.

- Les voies de la Madrée sont impénétrables. Elles peuvent paraître cruelles, sur un plan individuel, mais elles sont toujours nécessaires pour le plus grand bien.

- C'est moi qu'ils voulaient, c'est moi qu'ils auraient dû prendre, pas lui ! m'exclamé-je avec rage

Mon emportement me surprend moi-même. Ma colère s'est bâtie peu à peu depuis que j'avais compris que Marley avait été poussé à aller à la Fête foraine.

Les traits de l'abbé se détendent et il incline la tête en arrière, me considérant.

- Tu aurais dû quitter la Roche ? Mais alors, tu ne pourrais plus devenir intercessrice ! À moins que...

Je le coupe avec impatience

- L'abbé, mon futur d'intercessrice me semble compromis. À moins que vous déteniez des informations en tant que moine errant ?

Je répète à dessein l'expression, guettant la réaction de mon interlocuteur.

Mentoro sourit

- Est-ce ainsi que la Madrée nous appelle ? C'est un terme ancien. L'Église préfère celui d'abbé instructeur.

- C'est donc bien vous le moine errant, dis-je

Il me regarde avec de grands yeux

- Le Moire Errant ? Oh que non, me répond-il

Quelque chose m'échappe. Je reprends l'attitude d'une élève pour lui demander :

- Expliquez-moi.

- Lors de l'arrivée des terriens sur la planète, les êtres madréens étaient différents de ceux d'aujourd'hui, commence-t-il.

- Oui, la Madrée les a remodelés pour que nous nous sentions plus chez nous.

- Oui, poursuit Mentoro. Elle s'est basée sur les pensées des chamanes avec qui elle communiquait. Ceux-ci avaient l'habitude des esprits, avec qui ils ont confondu la Madrée au départ. De ce fait, celle-ci a pris la forme d'une entité possédant les gens. C'était Sa première tentative de fabriquer un intercesseur. La Madrée ne maîtrise pas bien le fonctionnement humain, le corps qu'elle habitait avait tendance à s'étioler ou à mal réagir quand elle le libérait. Un ordre religieux a été créé pour héberger cet esprit, basé sur une routine à effectuer tous les jours pour pallier les troubles pouvant survenir si nous sommes choisis. Le Moine Errant chevauche tour à tour les meilleurs d'entre nous.

À la manière dont il le dit, il ne s'inclut pas dans le groupe d'élus. Je me demande si les chevauchés se rendent compte qu'ils sont possédés.

Un silence confortable s'installe entre nous. L'abbé finit par le rompre, pensif.

- La dernière fois que j'étais dans en prison, c'était avec ta Dame Kalinarinéra. Nous soutenions Kassendro, qui était enfermé pour que personne ne comprenne qu'il était le véritable intercesseur. Et ta mère a fait une fausse couche dans la geôle en face. Et... c'est là que j'ai commencé à voir la bienveillance de la Madrée. Depuis, deux lignées d'intercesseurs coexistent et la vraie est cachée, dit-il.

Pensif, il plongea la main dans sa poche de poitrine. Mes tentacules, restés en contact avec les racines, m'alertent.

- Ne sortez pas ma petite sœur intercessrice, maître. Nous ne serons bientôt plus seuls.

Mentoro jette un regard derrière lui, je murmure :

- J'ai Vu cette scène dont vous parlez, merci d'avoir pris soin de ma mère et de moi si longtemps. Vous êtes venu en tant que messager ?

- J'ai vérifié, chuchote le moine. Le haut de la Tour est juste posé, mais il ne peut plus voler, le carburant a été utilisé.

Je souris, devinant Son plan.

- Je me doute, oui, mais il peut planer, soufflé-je, avant de hausser la voix : bonjour à toi Rugar !

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant