14 - Morgane : La cuisine

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Je dépose notre panier, avec les restes du repas, sur la table de la cuisine où les bonnes odeurs m'assaillent. Une volaille tourne dans le four. Rinée me fait signe de loin, tout en plissant les yeux pour m'observer. Elle se détourne avec vivacité vers le contenu d'une casserole que son apprenti remue d'une cuillère. Des gouttelettes de sauces brunes volent sous les mouvements désordonnés d'un adolescent acnéique qui me dévisage avec des grands yeux, sans prêter attention à son ouvrage. Lui empoignant le bras, elle lui chuchote quelques mots et il baisse la tête. Tous deux n'ont pas d'implant, comme tous les backens, mais elle connait toutes les informations. La cuisine est un lieu de passage, où on s'attarde en prenant un café ou un en-cas.

J'hésite à lui demander la dernière communication mais je me rappelle que je tends à éviter la cuisinière. Celle-ci d'ailleurs reste ostensiblement tournée vers son apprenti. J'abandonne l'idée de lui parler. Comme je me retourne, je vois un garde observant la scène depuis l'embrasure de la porte, Galien. Il est d'habitude en poste devant la salle de cours, la salle de cours où Kim m'a demandé d'arriver en avance aujourd'hui. Je réponds au signe de tête du nouvel arrivant et je rejoins la Tour.

La vieille Ambre est de faction à l'entrée. Son visage ridé s'éclaire à ma vue comme d'habitude mais son sourire n'atteint pas ses yeux bleus. Elle se met au garde à vous, la tête un peu sur le côté, tournée vers Chaffa qui marche vers le bureau de ma mère. D'habitude, elle me regarde en face.

Mal à l'aise, je passe devant elle sans broncher. Est-ce que je demande à Kim ce qui se passe en le rejoignant dans la salle ou j'attends qu'il m'en parle ? J'ai une autre idée. Cette pensée me rend le sourire. Imaginez une lecture monotone d'un livre monotone, les médas, et vous savez ce que j'endure tous les matins. Imaginez le plaisir de passer à autre chose. Voilà, je vais laisser Kim commencer à lire, je l'interromprai au bout d'un quart d'heure, et je ferai trainer ses explications. Avec un peu de chances, nous arriverons ainsi à l'heure du repas. Quand j'arrive dans la classe, elle est vide. La porte de communication avec l'antichambre étant ouverte, je m'avance.

L'abbé m'attend debout à la fenêtre, devant son poêle. Je reste sur le seuil, voyant que le feu est allumé.

— Bonjour Morgane, aujourd'hui, nous allons discuter. m'explique-t-il avec un grand sourire. Je sais que tu n'aimes pas la vue des flammes, rejoins-moi en leur tournant le dos.

Ma moité végétale se rebelle à cette idée. Mais j'ai toujours obéi à l'abbé, alors je m'exécute. La fenêtre de la pièce est celle dont le rideau a bougé hier, et il n'y a plus le fauteuil devant. Il m'a vu donc hier. Et il a décidé ensuite de m'aider à me sortir du mauvais pas dans lequel je m'étais mise. Je me prépare mentalement à recevoir un savon et peut-être comprendre la situation.

— J'aimerais que nous parlions du premier prophète, Xiro, annonce-t-il

Je sens mon dos se relâcher, un sermon ne semble pas être à l'ordre du jour,

— "Il apparut dans les flammes et tous s'agenouillèrent devant sa magnificence", récité-je pour me donner contenance.

Avoir le danger représenté par le feu derrière moi ne me convient pas, et je me place de côté.

— C'est ce qu'il y a dans les médas, oui. En tant qu'archiviste attaché à la personne de l'intercession...

"Archiviste attaché à la personne de l'intercession" ? J'ai toujours cru que l'abbé était un religieux raté qui avait trouvé une sinécure en accompagnant ma mère en résidence surveillée.

— En tant qu'archiviste, donc, insiste l'abbé.

Et en plus, aujourd'hui, il veut que je l'écoute. Je suis tout ouïe.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant