Chapitre 35 : L'épopée - Marley malade et défi

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Un univers familier se présente devant mes paupières closes. Si je reconnais le camp, je ne suis pas certaine de la partie dans laquelle je suis. Une main à la peau très blanche verse de l'eau dans un verre. Des cheveux brun doré, un regard perçant à l'iris jaune orangé, un nez aquilin : Randa.

Elle ferme le robinet et sort sous la pluie. Elle accélère l'allure pour rejoindre un baraquement. Une silhouette en forme de poire lui ouvre, Miro. Un sourire crispé éclaire ses traits fatigués et distendus. L'alimentation du camp ne doit pas suffire à son corps immense.

— Il n'a pas bougé, annonce-t-il.

Randa poursuit sa marche sans ralentir. Son pas résonne sur le carrelage. Le lieu de vie des surv' s'est amélioré. Les trous dans le plafond ont disparu, le sol est dégagé et propre. Quelques cloisons délimitent plusieurs espaces. Nous suivons Randa, jusqu'au fond du bâtiment. Elle passe deux armoires isolant une chambre avec deux lits. Marley s'y trouve. Assis sur les talons, il se tient la gorge d'une main tandis que l'autre laboure la terre convulsivement, comme s'il cherchait quelque chose. Randa lui tend le verre qu'il attrape et renverse, répandant le liquide sur le sol dallé.

— C'est ce que tu as demandé, chuchote-t-elle.

— De l'eau, souffle-t-il.

Avec douceur, il caresse la petite flaque puis pose ses deux paumes dessus, les étendant au maximum. Accroupi, son corps se balance pour donner plus d'appui sur ces mains, comme s'il voulait s'enfoncer.

Un hurlement se fait entendre :

— Delphy ! je te défie !

Mon frère oscille faiblement, la tête toujours baissée. Se plaçant entre lui et l'entrée de la porte, Randa lance un cri perçant et des plumes se dressent sur son cou, juste au-dessus de la collerette. Un grand gaillard blond apparaît, avec un collier de poils gris, Marik. Tous deux se jaugent du regard. Aigle contre rat.

— Je relève le défi au nom de notre chef ! proclame Randa.

— Je t'attends dehors, acquiesce l'escogriffe après un hochement de tête.

Comme il repart de sa démarche sautillante, Marley lève le visage vers elle et dit :

— Tu ne pourras pas me remplacer indéfiniment.

Les traits de Randa se brouillent et on devine un instant un bec avant qu'elle ne réponde :

— Je me battrai autant de fois que nécessaire ! Ne t'inquiète pas, le camp nous a bien formés, nous a endurcis, j'y arriverai.

— Chacun a ses limites.

— Comme tu en as aussi, alors concentre-toi sur ta guérison et laisse-moi te donner l'aide que je peux, crie-t-elle d'une voix haut perchée. Tu es notre chef et tu le resteras, et cela finira par entrer dans leur crâne de force.

Marley souffle en la regardant, résigné, avant de reporter son attention sur ses mains qu'ils portent vers son visage.

— L'as-tu appelé ? demande-t-il.

Seul le silence lui répond.

— Il est notre unique chance, Randa.

— Ils ne peuvent pas te laisser mourir ici, tu es l'héritier de CastelDelphy, affirme-t-elle d'un ton patient.

Les yeux globuleux familiers se posent sur elle avec douceur.

— Randa, imaginons un instant que nous soyons libérés. Cela impliquerait que notre mémoire soit effacée, ou du moins que l'Église nous oblige à nous taire. Comment expliquerais-tu l'existence de... Max ?

Un enfant apparaît de dos et se précipite dans les bras qu'ouvre Marley. La main de mon frère caresse ses cheveux, ne laissant voir que sa nuque, vert gris, une peau de backen.

— N'utilise pas Max, crie Randa, non, ne fais pas ça !

Elle semble presque en larmes et serre les poings.

— Delphy ! appelle la voix du rat

L'interpellé baisse la tête en murmurant au bambin.

— Je reviens, annonce Randa avec un sourire carnassier, je vais me défouler et on en reparle.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant