9 - Camp de préservation

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Le retour se passe en silence, je me contente de suivre un Kim pensif et j'ai appris à ne pas le déranger dans ces cas-là. Les quelques images que j'ai vues au café tournent en boucles dans ma tête. Vais-je savoir ce qui arrivé à mon frère ? Puisque le consensus est qu'il est mort, vais-je savoir comment ?

À notre arrivée, le messager est encore à Casteldelphy, ce qui me donne une bonne excuse pour filer dans ma chambre. Je confie le paquet à un Kim taciturne. Je ne cherche pas à comprendre la raison de son humeur, en profitant plutôt pour éviter d'avoir à justifier mon impatience. Ce matin encore, j'aurais espéré des félicitations de ma mère. Ce soir, je rêve de retrouver mon frère.

Je délaisse le tube élévateur pour monter l'escalier quatre à quatre et je me jette sur mon holocran. Je l'ai à peine effleuré que j'en retire la main avec précipitation. Un dégoût m'a envahi en sentant sous ma peau la surface inerte. J'examine la matière translucide. Rien n'a changé. J'observe mes doigts. Les extrémités sont rouges, preuve d'une réaction physique.

Je vais prendre derrière l'armoire un vieux clavier qui sert à l'extérieur, dans les conditions extrêmes, quand l'holo est trop éloigné pour un contact direct ou par implant, s'il y a une trop grande présence d'irthe par exemple. C'est Fario qui me l'avait donné en se moquant de moi. Les touches aussi sont désagréables, mais moins. Elles sont... mortes. Je mets mes gants, je serre les dents et tape. Le cliquetis est artificiel. Bien sûr que c'est artificiel ! Je vis dans un monde artificiel ! Je continue : "épopée sur la vie de Maestro". Je ne trouve que des articles d'information que je passe sans lire. Pas de vidéo. La liste défile jusqu'à la fin. Je sais, pour avoir entendu Fario en parler avec dégout, que parfois, tout en bas des résultats, peut se cacher des réponses prohibées. Je clique sur la dernière. Un dessin de barbelé sur fonds rouge apparaît avec le nom "La meute des barbelés" en surimpression. Je clique de nouveau. Un panneau interdit apparaît.

Je reviens aux premiers résultats, des articles annonçant la proscription de la série par l'Église. Je soupire. Comme d'habitude, le Grand Prêtre n'a pas donné d'explications. Cependant, le texte précise que l'histoire est celle d'une meute formée dans l'un des espaces sauvages gérés par des moines soldats. Avant de conclure "Encore une fois, la bonté de l'Église n'est pas récompensée. Elle a créé les camps de préservation pour améliorer les conditions de vie des espèces non élues par la Grâce. Et voici que ses protégés se sont retournés contre elle, usant de sa mansuétude pour diffuser un tissu de mensonges."

Un camp de préservation. Mon cœur se durcit dans ma poitrine et mes doigts s'arrêtent au-dessus du clavier. La première fois que j'en ai entendu parler, c'est après la mort de mon frère. Jusque-là, la délimitation des limes étant assez floue, empiétant de part et d'autre du socle rocheux, les populations s'y mélangeaient. L'église a décrété que les purs ne devaient plus se mêler aux Garous, c'est-à-dire à ceux que leur déesse, La Madrée, avait métissé. Les hybrides — les backens — non métamorphes pouvaient devenir serviteurs. Les hybrides des grandes familles, comme moi, n'avaient plus le droit de se reproduire ou devaient s'exiler. Les moines soldats ont délogé tous ceux qui s'étaient établis du mauvais côté, pour les envoyer en camps de préservation spécialement créés. Le discours était que ceux ayant pris l'habitude de vivre proche de la civilisation ne pouvaient être renvoyés du jour au lendemain dans un monde archaïque. Était-il possible qu'ils aient embarqués du monde ailleurs que sur la Roche ? à Taënne par exemple ?

Soudain, l'univers froid autour de moi m'oppresse, l'absence d'odeur me donne l'impression d'être coupée du monde. Ma main se tend vers la poignée de la fenêtre, puis retombe en apercevant un nuage de poussière. L'émissaire de l'Église repart. Rugar. Pour moi, il reste lié à la mort de mon frère car c'est le premier à l'avoir affirmé devant moi. Ma poitrine se sert, mon cœur semble sortir de ma poitrine. La douleur de la perte de mon frère revient en force. Je dois bouger.

La Meute des Barbelés [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant