Dévore-Moi

Chapitre 15 : Maman

Comme tous les dimanches, je déjeunais avec Maman. Elle dressait la table, une nouvelle nappe couvertes de fleurs. Elle plaçait au centre une bouteille de jus, soit de pomme, son préféré, soit de goyave, mon préféré.   

Et puis, elle préparait une entrée, un plat et un dessert. L'entrée était souvent une salade composée avec une part de tarte, au thon, ou de fromage et de lardon... ou alors une tourte aux champignons. Le plat principal, était un gratin de pâtes aux fromages, option 1, ou de gratin de pomme de terres accompagnées d haricots vert, avec un énorme bout de viande, du poulet ou du veau ou du lapin... Et le dessert, une part de gâteau à la pomme fait maison, ou un yaourt, ou les deux. 

Nous mangions à trois avant... avant que Michael ne s'éloigne. Et moi... je ne voulais pas laisser s'isoler, vivre toute seule entre ces murs. Elle était une écrivaine célèbre, elle avait écrit "Les femmes noires durant la Guerre". Un recueil de témoignages réel et puissant sur les femmes noires qui ont participé à la Guerre contre les démons. 

La dernière histoire était la sienne, l'histoire d'une femme née en Martinique, d'une famille très pauvre, qui avait obtenu son Bac, et enchaîné avec des études littéraires 

Elles étaient souvent oubliées, voire effacé... Enfin, son livre avait été célébré, à un tel point qu'elle n'avait plus besoin de travailler. Et pourtant, malgré ça, elle restait ici, dans cet appartement où nous avions grandi, elle, moi, Michael et Papa. 

Nous mangions silencieusement, comme d'habitude. Nous observions les informations, discutions des sujets importants, cette fois-ci Diego apparut à l'écran. 

- Ah... souffla ma mère, tu as vu ça. Ce combat et la désinvolture de ce jeune homme est dangereuse. Il devrait prendre ce sujet plus au sérieux.. Enfin quand on sait que sa famille est composée de criminel...

Certains diront que notre famille aussi est composée de criminels... au vu des actions de Michael. Mon grand-frère le dealeur de drogue enfin. 

- Maman, je crois que je devrais être honnête avec toi. C'est possible que Diego soit mon petit-ami. 

Silence. 

Elle m'observe, rigolant d'abord en pensant que je plaisante, mais se sourire disparaît quand je comprends que je suis sérieuse. 

- Sérieusement ? Mais pourquoi lui ? Je veux dire ? Comment ? 

- Eh bien, il a une chambre étudiante là où je travaille, et on parle souvent ensemble, et depuis une semaine, on est... ensemble. Tous les deux, et il n'est absolument pas comme tu le décris. 

Son visage trahissait son émoi, elle semblait triste et en colère. Elle ouvrit la bouche, sûrement prête à lâcher un commentaire horrible et violent qui m'aurait fait me haïr pour les trois prochaines années. 

- Je... tu es une grande fille, et je n'ai jamais eu à m'inquiéter de toi... tu as toujours été... toi. Alors, je te fais confiance, c'est certainement ce que ton père aurait dit. 

- Oui, je souris, c'est sûrement ce que Papa aurait dit. Mais j'ai autre chose à t'annoncer, et je ne suis pas sûr que tu pourras le prendre aussi bien.

Son sourire disparaît immédiatement alors que je fais glisser sur la table le dossier d'inscription à l'école des chasseurs. Ses yeux tentent de contrôler la fureur qui tente de la saisir. 

- Tu veux devenir une chasseuse, elle dit alors que sa voie se fait plus forte, alors que ton père est mort pendant la guerre contre les morts, alors que je t'ai raconté toutes les choses horribles que j'ai vu. Tu es complètement idiote ou quoi ? 

L'insulte fait un peu mal, mais elle n'a pas forcément tort. 

- Mais, Maman...

- Tu as tellement d'autres options, je t'ai littéralement proposé de travailler en tant que secrétaire dans le cabinet d'avocat de Francine, mais tu as dit que ça ne t'intéressait pas, et tu choisis ce métier ? Tu veux mourir ? Tu penses que je n'ai pas assez souffert après la mort de ton père et après que ton grand-frère est décidé de quitter la famille pour aller vendre de la drogue dans la rue. Tu crois que je n'ai pas assez souffert ? J'ai besoin de perdre ma fille aussi...

Est-ce moi qui suis égoïste, ou est-ce que c'est elle qui l'est particulièrement. Je ne suis pas fier d'avoir candidaté dans son dos, mais je ne suis plus sûr de la personne en face de moi, cette personne qui utilisait nos traumatismes pour remporter les arguments et contrôler mes actions futures.

Non.

- Non, je rétorque froidement, je vais devenir chasseuse et quand je serai Seigneur de Guerre, je te forcerai à reconnaître ma valeur. 

Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça, je ne sais vraiment pas pourquoi. Je voulais peut-être prouver que j'étais sérieuse, mais elle savait très bien que mes circuits magiques étaient bien inférieurs aux siennes. 

- Non, elle murmure nerveusement, c'est juste que je ne veux pas te perdre toi aussi, tu comprends ma fille. Je suis désolé. Tu feras attention...

- Oui, je ferais attention, Diego n'était pas vraiment d'accord lui aussi, mais il a accepté de m'entraîner. Je serais forte, tu verras. 

Elle tourmentait ses doigts dans l'attente anxieuse de la conversation. Maman savait que j'étais doué dans beaucoup domaine, d'où son incompréhension ans mes choix de carrières. Mais la vie d'une chasseuse de démon était sombre et violente, il n'y avait aucun bonheur à trouver dans cet enfer de sang. Oui, je sais. Mais j'étais née pour me battre, je le sentais, c'était une évidence. 

 La mère savait que sa fille était douée, courageuse et déterminée, mais la vie d'une chasseuse de démon était tout sauf banale. Elle était pleine de dangers, d'incertitudes et de sacrifices. 

Être une chasseuse de démon, c'est risquer sa vie chaque jour, affronter des forces obscures et des monstres terrifiants. Je t'aime plus que tout au monde, ma chérie, et je ne veux pas te perdre.

Il fallait que je m'en souvienne, c'est vrai. Mourir c'est être égoïste avec ceux qui nous aiment, mais quand ce sont les autres, "ceux qui nous aiment" qui nous forcent à rester en vie, à faire des choses que l'on hait, alors, qui sont vraiment les plus égoïstes ? 

Je tourne les yeux vers la fenêtre pour observer le ciel bleu. Ce monde est trop violent pour faire le choix de rester faible.