Chapitre 29 : Le calme avant la tempête.

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Tous les mots s'étaient échappés de ses lèvres en une traite, déversant toute son histoire, chaque parcelle de douleur, chaque brin de colère. Tout était là, exposé, expliquant pourquoi il arborait cette froideur, cette tranquillité presque absente par moments.

- Diego...

Il continuait de marcher, comme si de rien n'était, comme s'il ne venait pas de me livrer une histoire, sa propre histoire, une histoire particulièrement triste et horrible, mais bel et bien la sienne.

- Diego, bordel de merde, tu vas t'arrêter ?!

Il prit une profonde inspiration, marquant un temps d'arrêt avant de se tourner lentement vers moi. Ses yeux, toujours aussi calmes, semblaient vides, dénués de toute émotion, comme à leur habitude, mais je sentais leur intensité fixée sur moi. Je me retrouvai perdu dans leur regard, incertain de par où commencer, incertain même s'il souhaitait que nous abordions le sujet. J'avais déjà entendu parler de pactes avec des démons, mais d'ordinaire, le prix en était une âme ou une partie du corps, un bras, une jambe... pas cela. Pas infliger cela à un enfant, non...

Les larmes dévalaient mes joues de manière incontrôlable alors que je faisais face à son regard toujours impassible.

- Je ne voulais pas te faire pleurer, il murmure, je voulais juste...j'en sais trop rien, te dire la vérité.

À présent, tout prenait sens, chaque moment où j'avais interprété sa froideur, son apparente incapacité à ressentir ou à exprimer ses émotions. Tout cela, les pièces du puzzle de sa personnalité, s'assemblaient pour former une image plus claire de qui il était vraiment.

- Je suis tellement désolé, je suis vraiment...

Il sourit et passa nerveusement sa main dans ses cheveux.

- Les souvenirs me sont revenus, il y a environ un mois, la sorcière qui a effacé ma mémoire est morte, et le sort s'est rompu. Peut-être qu'elle n'avait pas dit à mon père que le sort prendrait fin à sa mort, ou peut-être qu'elle-même ne savait pas, au final, le résultat est le même.

- J'ai rencontré ton grand-frère, je lui avouais, il m'a parlé de ça, mais je ne suis pas sûr qu'il connaisse toute l'histoire.

Il parut légèrement agacé, mais ne fit aucune remarque là-dessus.

- Et donc, je demandais, tu vas tuer ton père aujourd'hui.

Un parricide, rien que ça.

Quand je pense à mon père, à l'homme extraordinaire qu'il était... même s'il est tombé au champ de bataille, bravant les démons... Le souvenir de sa présence, de ses sourires, du bonheur qu'il pouvait transmettre, de sa manière de nous aimer, mon frère et moi. Toutes ces choses que Diego n'avaient jamais connues. Son père l'avait simplement créé comme la bête de Frankenstein, et l'avait utilisé, torturé, et vendu son corps à un démon, tout ça pour développer ses talents de guérison, et sauver sa femme.

Un enfant naît pour mourir pour une autre personne.

Cela me faisait penser au don d'organes ou de tissus entre frères et sœurs, les parents prennent la décision de concevoir un enfant spécifiquement dans le but de sauver la vie ou d'améliorer la santé d'un autre enfant déjà né et atteint d'une maladie grave nécessitant une transplantation d'organe ou de tissu.

Ma mère regardait souvent des reportages sur Arte...

Diego n'était plus qu'un "fournisseur de soin" plutôt que comme un individu à part entière. Une enfance pareille...une vie pareille.

- Tu veux m'en empêcher ? Tu veux m'empêcher de tuer mon père ?

Je fis signe de la tête, négativement, puis posai doucement mes mains sur sa joue, comme pour apaiser la bête qui rugissait en lui, réclamant vengeance.

- Je t'aime tellement fort, bien plus que tout, je t'aime à en mourir, et je ne tolérerai jamais qu'un homme qui t'a fait tant de mal puisse continuer à vivre. Et je sais que toi, tu serais incapable de rester calme si tu découvrais que quelqu'un... enfin, tu comprends ce que je veux dire.

- Oui, je sais, je t'aime aussi. Mais aujourd'hui, je vais devoir être une autre personne, j'ai peur que tu ne me reconnaisses pas. Promets-moi que tu m'aimeras toujours, ce soir.

Ses mots étaient toujours froids, je me demandais bien ce qu'il avait en tête.

- Oui, je te le promets, ne me fais pas le regretter.

**************

Il était imposant, dépassant facilement les 1m90, peut-être même davantage. Depuis la fenêtre de son bureau, il observait le jardin qui s'étendait autour de sa villa, ses mains fermement croisées dans le dos. Vêtu d'un large costume noir qui soulignait sa musculature imposante, il avait un visage dont certains traits rappelaient étrangement ceux de Diego.

Don Alonzo.

Ses cheveux et sa barbe étaient poivre et sel, donnant à son visage une allure distinguée et charismatique. Ses yeux, d'un jaune perçant, ressemblaient à ceux d'un loup, terrifiants, mais étrangement humains.

- Je n'étais pas sûr que tu viendrais, mon fils, nous t'attendions, pour commencer.

Une immense table rectangulaire, drapée d'une nappe rouge et dorée ornée de motifs complexes, trônait au centre de la pièce. Autour d'elle étaient disposées plusieurs chaises de bois lustré, décorées de gravures florales élégantes. Les trois fils de la famille Alonzo étaient réunis autour de cette table.

Il y avait Jaime, son frère qui m'avait parlé de ce secret, du fait que Diego avait fait "quelques choses d'horribles", et que, par conséquent, son père avait pris la décision de faire disparaître sa mémoire. Je me demande s'il était au courant de la vérité, je crois que non.

Il y avait également, le dernier, Miguel, le seul que je n'avais pas rencontré. Le plus jeune, celui qui était condamné à mourir... Il était beau, lui aussi, un trait de famille visiblement. Sa peau était couverte de tatouage, même près de son oreille, empiétant sur son visage, une petite dague.

- Salut Diego, lâcha Miguel en prenant Diego dans ses bras avec une forte accolade, ça faisait longtemps que l'on ne s'était pas vu.

Une accolade, une rencontre entre frère. Diego s'approche de son père et lui fait une accolade similaire à celle de Jaime. Il ravale sa haine, reste impassible et serre son père dans ses bras.

- Bonjour Monsieur, je me présente, Lucy St-Anne.

- Oh, rétorque l'homme en observant et décortiquant chaque parti de mon visage, la fille de Béthanie St-Anne, l'herboriste, et tu es aussi forte que ta mère ?

J'avale nerveusement ma salive.
- Pas encore, Monsieur, mais j'essaye de la rattraper chaque jour.

Il ne faut pas être la personne la plus intelligente du monde pour comprendre que les choses vont très vite, dérapé, je me demande juste, comment tout cela va se passer.


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