08 . surprise

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IL RESTE deux jours avant que Mme Roberts annonce les rôles. L'ambiance est tendue. Chaque fille du groupe est en concurrence. Et moi, je suis au milieu de tout ça, donnant le meilleur de moi-même.

Une fois la journée terminée, je rejoins les vestiaires. Mia s'assoit à côté de moi tandis que je défait les lacets de mes ballerines.

— Je suis fatiguée, se plaint cette dernière en fermant les yeux et en relevant la tête vers le plafond.

— Ouais. Vivement qu'on sache les rôles, j'ajoute.

— Si l'une de nous à le premier rôle, promets-moi qu'on ne deviendra pas concurrente.

Je lui tends mon petit doigt.

— C'est promis.

Elle le serre. Je me perds dans mes pensées. Je réalise que je suis à Londres depuis un mois et que les choses se passent plutôt bien. Amy est une colocataire plutôt sympa et qui respecte ma vie privée. L'école du Ballet Royal est fatigante mais, danser toute la journée me plaît énormément. Même les heures de cours sont moins ennuyantes qu'au Connecticut. Peut-être est-ce l'euphorie du premier mois.

  Puis, la copine de ma mère à la librairie est sympa. J'ai toujours le droit de repartir avec un petit livre le mercredi soir, ce qui a de quoi m'enchanter. Et puis, il y a Mia et Clotilde, qui sont très gentilles avec moi. Megan et Lauren sont plus compétitrices. On a vite remarqué que nos caractères ne collaient pas. Elles ne sont pas là pour se faire des amies, elles sont là pour gagner.

Et enfin, il y a Trent Bennett. Ce garçon de Londres qui ne fait qu'occuper mes pensées. Je le vois de temps à autre dans la semaine. Parfois c'est lui qui vient chez moi, et vice-versa. On mange souvent ensemble devant la télé pendant qu'Amy travaille. C'est un gros point positif d'avoir la maison rien que pour moi jusqu'à deux heures du matin au moins. Je peux ramener Trent et rigoler avec lui sans déranger personne.

Mia et moi sortons en dernières des vestiaires. Quand nous retrouvons la salle pour sortir, Mme Roberts trie des papiers.

— Mademoiselle Stone, m'interpelle la professeure.

Je me retourne.

— On se voit demain, me chuchote Mia en quittant la salle.

Je lui souris puis me concentre à nouveau sur Mme Roberts.

— Vous avez un très bon niveau, me complimente-t-elle.

Je la remercie, puis elle enchaîne :

— La représentation de la catégorie garçons dix-sept / vingt ans aura lieu un soir après le nôtre, comme je vous l'ai dit il y a un mois. Il vont jouer Casse-Noisette. Vous allez jouer Clara, si vous êtes d'accord. Je vous vois très bien dans ce rôle et vous êtes la première personne à qui j'ai pensé pour donner vie à ce personnage. Qu'en pensez vous ?

Enchaîner deux chorégraphies complexes deux soirs de suite va sans doute nécessiter beaucoup de travail. Mais c'est une occasion que je n'ai pas envie de laisser filer. Il suffit que j'y mette tout mon cœur et le rendu sera spectaculaire, comme j'aime qu'il soit.

La représentation du Lac des Cygnes est le vingt-trois décembre, et celui de Casse-Noisette est le vingt-quatre. Peut-être que ma famille pourra venir. J'aimerai tellement. J'ai des papillons d'excitation rien qu'en y pensant.

— Oui, je suis d'accord. Ce serait fantastique.

— Parfait ! Tous les mardis, vous irez vous entraîner avec la troupe masculine et, le reste du temps, vous le passerez à réviser pour le lac des Cygnes. Vous aurez votre rôle après-demain. Et demain, comme ce sera mardi, vous irez directement à la troupe des hommes.

— Très bien !

⋆ ☆ ⋆

— Vous vous rendez compte, j'ai des rôles dans Casse-Noisette et le Lac des Cygnes ! je m'exclame à l'égard de Mme Cleaver, qui doit en avoir marre de m'écouter déblatérer de ça.

Je suis à la librairie depuis seize heures. Depuis que Mme Roberts m'a annoncé la grande nouvelle. Je suis tellement excitée.

— J'ai l'impression de voir une flamme au bout d'une bougie quand on souffle dessus. Elle bouge dans tous les sens, déclare la libraire sur un ton amusé.

Je rigole devant cette comparaison. Je range un livre dans le rayon des romans d'aventure.

— J'ai déjà eu l'occasion de danser dans ces deux ballets mais là, c'est avec le Ballet Royal ! Mon dieu, ça va être génial.

— Est-ce que tu seras aussi épuisante pendant deux mois ? demande mon employeuse d'un ton las.

— Possible, je réplique avec le sourire jusqu'aux oreilles.

— Très bien, je vais me préparer mentalement.

La porte de la libraire s'ouvre. Je regarde Mme Cleaver.

— Va donc déverser ta joie sur ce client.

— J'y vais !

Je me dirige vers l'homme d'une cinquantaine d'années.

— Je peux vous aider ?

— Oh oui, répond-t-il. Je cherche un livre rédigé en français. Ma femme veut absolument que je perfectionne mon français pour notre futur voyage à Paris.

— Paris doit être une super ville. J'aimerais y aller un jour.

— On pense même à emménager là-bas. Après avoir passé cinquante ans à Londres, ça ne peut que faire du bien de quitter l'Angleterre.

— Oui, j'imagine. Suivez-moi.

Je l'emmène dans un rayon dédié aux livres français. J'attrape un livre de Maupassant, La Parure. Je l'ai lu et c'est un livre qui m'a marqué. Le retournement de situation à la fin est spectaculaire. J'ai déjà imaginé comment cette nouvelle pourrait rendre sous forme de ballet. Et je me suis dit que, si un jour j'étais emmenée à monter mon propre ballet, je mettrais vie à cette nouvelle.

Je tends la nouvelle de Maupassant au client.

— C'est un ouvrage incontournable. Vous ne serez pas déçu.

— Alors je vous fais confiance.

— Bonne idée. Vous faut-il quelque chose d'autre ?

Il secoue négativement la tête.

— Vous êtes danseuse ? me demande-t-il.

— Oui, pourquoi ?

— La position de vos pieds vous trahi. Autant quand vous marchez que quand vous restez simplement debout, sans bouger.

— On me le dit souvent.

Chaque fois que mes parents m'emmenaient manger chez des amis à eux, j'avais le droit à cette question. Et ma mère ne se gênait pas pour montrer des vidéos de mes ballets à tous ses amis. Parfois, c'était gênant. Et parfois, c'était valorisant. Tout dépendait de la personne qui regardait.

  Une fois le client parti, je retrouve le grand bac où plein de livres attendent de retrouver leurs rayons. J'ai de quoi faire.

  Je regarde l'heure sur l'horloge de la librairie. Il est dix-sept heures. Il reste encore une heure avant que je puisse retrouver la chaleur de ma maison.

  Mme Cleaver me rejoint et attrape plusieurs livres.

  — Je t'offre un peu d'aide.

  — Merci, je réponds.

  — Tu te plais à la librairie ? Je ne serais pas vexée si tu disais non.

  — J'aime bien. Vous êtes sympa. Et les clients sont sympas. Et j'aime bien piquer les livres le mercredi soir.

  — J'avais cru remarquer. C'est toi maintenant ma cliente la plus fidèle.

  Je rigole.

  — Fidèle et fière de l'être.

  Et c'est vrai, Mme Cleaver est vraiment sympa. Ma mère a de bons goûts en terme de copines.

Publié le 23/03/24

𝐓𝐑𝐎𝐏 𝐏𝐑𝐄̀𝐒 𝐃𝐄𝐒 𝐄́𝐓𝐎𝐈𝐋𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant