𝐓𝐑𝐎𝐏 𝐏𝐑𝐄̀𝐒 𝐃𝐄𝐒 𝐄́𝐓𝐎𝐈𝐋𝐄𝐒

14 . quatorze jours

QUATORZE JOURS nous sépare de la représentation du Lac des Cygnes. Mme Roberts nous fait travailler à fond. Mais malgré tout, elle reste supportable. Elle a l'habitude de faire cela.

  Et comme Casse-Noisette approche aussi, je passe deux jours par semaine chez la troupe masculine.

  Mia, Clotilde et moi sommes en train de nous échauffer sur une barre, tout en discutant.

  — Je suis dégoûtée, mon petit-ami ne pourra pas assister au ballet, déclare Clotilde avec déception. Il m'a envoyé un message juste avant que le cours commence.

Je la regarde avec compassion. Trent n'a pas donné de nouvelles non plus, je suppose qu'il ne viendra pas non plus. J'espérais au plus profond de moi qu'il revienne mais je commence doucement à comprendre que je me suis sûrement emballée trop vite. C'est comme ça, on ne peut rien faire hormis déprimer.

Et c'est comme ça qu'il a répandu de la tristesse dans mon univers, comme il ne voulait pas faire. Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs.

Mais maintenant, je pense plus à lui qu'aux chorées que je dois savoir par cœur pour le ballet. Rien ne va plus. J'ai des problèmes de concentration à cause d'une seule personne que je ne connais même pas depuis si longtemps. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

— Tu pourras lui faire une représentation exclue, la réconforte Mia avec son sourire qui apporte tant de bienveillance.

— Bonne idée. Je trouve que c'est fantastique. Et puis, mes parents et mes trois frères seront là. Je peux m'en remettre.

Maman, papa et mon frère seront là, j'y crois dur comme fer. Ils me l'ont promis. Et ma mère m'a toujours appris qu'on devait faire notre maximum pour honorer une promesse.

  — Et toi, Melissa, qui sera là ? me demande Mia.

  — Mon frère et mes parents.

  — Il a quel âge ton frère ? réplique cette dernière.

  — Andrew a dix-sept ans, si mes souvenirs sont bons.

  — Tu ne te souviens plus de l'âge de ton frère ? m'interroge Clotilde sur un air amusé.

  — C'est affolant, il grandit trop vite.

  — Oh oui, c'est clair, reprend-t-elle. J'ai le même problème. Quand mes deux grands frères ont quitté la maison, ça m'a fait un choc.

  — Heureusement, je n'aurais pas à faire ça puisque j'ai quitté la maison en première.

  — Ça doit lui faire bizarre, déclare Clotilde.

  — Vous faites quoi ce soir ? demande Mia.

  — Je révise les chorées, je réponds.

  — Pareil que Melissa.

  — On n'a qu'à s'entraîner ensemble. J'ai réussi à réserver une salle de danse en bas pour ce soir.

  — Ce sera génial ! je m'exclame.

  — Clotilde, Mia, Melissa, au boulot, nous interrompt Mme Roberts.

  Nous nous taisons et reprenons nos entraînements.

⋆ ☆ ⋆

  Mia nous a donné rendez-vous vers dix-huit heures trente. C'était plus arrangeant pour moi étant donné que la librairie fermait à dix-huit heures et que comme ça, j'avais le temps de passer chez moi récupérer mon sac.

  Je viens tout juste d'arriver devant la salle, où Clotilde et Mia sont déjà. Elles rigolent entre elles et se retournent vers moi quand j'arrive. Elles m'adressent de grands sourires.

  — Vous êtes là depuis quand ? je demande.

  — Cinq minutes, répond Mia.

  — Allons nous changer ! s'exclame Clotilde.

  Cinq minutes plus tard nous revenons dans la pièce. Je vérifie que mon chignon est bien coiffé à l'aide du miroir. Mia se précipite vers son sac. Elle en sors une enceinte et un paquet de bonbons.

  — Je ne sais pas jusqu'à quand nous traînerons ici alors j'ai pris de quoi nous remplir l'estomac, affirme-t-elle.

  — Tu gères, répond Clotilde.

  Nous commençons à danser, tout en papotant. Une heure doit passée depuis notre arrivée.

  Mais soudain, quelqu'un toque à la porte. Nous nous regardons, l'air interrogé.

  — Vous avez invité quelqu'un ? demande Clotilde.

  — Pas à ma connaissance, je réplique.

  — Moi non plus, ajoute Mia. Je vais voir qui c'est.

  Elle se dirige vers la porte et l'ouvre délicatement. Megan et Lauren apparaissent derrière la porte. Que font-elles ici ? Il est bien noté à l'entrée que la salle est réservée.

  — Vous avez la salle depuis une heure, se plaint Megan.

  — Nous l'avons réservée jusqu'à vingt-et-une heure, je rétorque en m'approchant de la porte. Fallait être plus rapide.

  Megan lève les yeux au ciel. Plus les jours passent, moins je les supporte. Elles ne semblent pas être de bonnes fréquentations. Elles sont habitées par l'esprit de compétition qui agace tout ceux avec qui elles traînent. 

  Lauren entre dans la salle, rapidement suivie par Megan.

  — Vous faites quoi, là ? demanda sèchement Clotilde.

  — On prend la salle, réplique Lauren en posant son sac dans un coin.

  — C'est hors de question ! s'exclame Mia.

  — Et auprès de qui allez-vous aller vous plaindre ? demande Megan d'un ton mielleux. L'accueil est fermé. Comme c'est dommage.

  Si je pouvais, je lui aurais donné une claque. Or, ça va à l'encontre de mes valeurs. Je préfère rester la gentille petite fille, l'amie au caractère doux et bienveillant. Je veille toujours à me reconnaître dans mes actes, à ne pas faire des choses que je ne devrais pas faire. Je reste conforme à qui je suis, ou à qui je veux être.

  Je ne sais quoi répliquer. Je ne suis pas douée en terme de bataille verbale. Je perds toujours, sauf avec mon frère. J'arrive toujours à le mener à bout lors d'une dispute. Il est bien la seule personne avec qui j'y arrive. Le seul qui ne connaît pas que la gentille et serviable Melissa. Ce qui est normal, c'est mon frère.

  — Peu importe, on ne bougera pas, réplique Clotilde.

  — Qu'en penses-tu, Melissa ? Toi qui n'as pas parlé depuis tout à l'heure, affirme Lauren.

  Je reste muette. Je déteste ce genre de situation. Si ça ne tenait qu'à moi, je leur aurait donné la salle.

  Tous les regards sont tournés vers moi. J'aimerai me transformer en souris pour pouvoir m'échapper.

  — Je... On... On avait la salle avant vous. Vous la prendrez demain.

  — Ecoutez la voix de la sagesse, déclare Mia.

  La voix de la sagesse, c'est un peu abusé. C'est simplement la voix d'une personne qui bégaye pour sortir dix petits mots.

  Je ne trouve pas de dénouement à cette histoire. Je veux dire, Mia et Clotilde ont l'air aussi têtue que Megan et Lauren. C'est un dialogue de sourdes.

— On peut rester là encore longtemps, affirme Clotilde, les bras croisés.

— Sinon, on pourrait s'entraîner ensemble, je suggère.

Je regrette aussitôt d'avoir dit ça quand les regards assassins de Megan et Clotilde s'abattent sur moi.

— Non, répond sèchement Megan en attrapant son sac. Jamais on traînera avec vous.

Lauren suit d'un pas rapide son amie. Mia, Clotilde et moi nous regardons, interrogée. Puis Mia rallume la musique et nous nous remontons à danser. Elles ne méritent pas qu'on se focalise sur elle et qu'on en parle pendant des heures.

Publié le 08/04/24