Chère Eleanor, je n'ai pris le temps de vous demander comment s'était déroulé votre retour dans la Saison...
Je relisais pour la troisième fois la lettre que m'avait écrite Andrew. Je n'arrivais pas à identifier le sentiment dominant que me procurait la lecture. Cela oscillait entre la nostalgie, cette lettre étant la suite directe des précédentes, et la colère de ce retour impromptu après avoir promis à mon frère que notre correspondance devait cesser. Je décidai de ne pas approfondir pour l'instant mon introspection et je la rangeais dans la boîte où j'ai gardé les autres. Du bout des doigts, je parcourais les enveloppes, certaines plus abîmées que d'autres à force de relecture. Je me revoyais au domaine attendre avec impatience chacune d'entre elle et de relire les anciennes quand l'attente me paraissait trop longue. Cela avait été mon jardin secret, mes parents n'étaient pas au courant seul William en avait connaissance, mais il avait toujours été très discret à ce sujet. Je refermais le coffret quand Lisa ouvrit ma chambre pour m'aider à me préparer pour la balade de cet après-midi avec Lord Damian.
Une fois prête, je descendis dans le hall et rencontrai Tante Kate et Archie qui arrivèrent depuis l'un des petits salons. Elle regarda ma tenue et me demanda :
— Où se trouve ton chapeau ?
— L'un des rubans s'est décroché, Lisa est en train de recoudre pour le faire tenir.
Elle acquiesça, satisfaite de ma réponse. Archie me fixait avec un air malicieux. Il s'avança d'un pas raide vers moi et me fit un léger signe de tête quand il s'arrêta devant moi. Il me tendit la main.
— Lady Eleanor, voudriez-vous m'accorder cette danse ?
— Archie ! le réprimanda sa mère. Ce n'est pas le moment d'importuner ta cousine. Lord Damian doit arriver d'un instant à l'autre.
Insolant, il lui répondit.
— Maman, j'applique seulement les leçons de mon professeur.
Avant que Tante Kate ne s'emporte, j'exécutai une révérence et lui prit la main.
— Avec plaisir Lord Clifford.
Acceptant sa défaite, Tante Kate ne put s'empêcher d'ajouter à son fils.
— Ne marche pas sur la robe d'Eleanor.
Nous avançâmes dans le hall pour avoir plus d'espace. Archie, trop jeune pour les cours de danse, resta un instant perplexe sur la suite. Je lui tendis mon autre main et après quelques secondes de réflexion, il me fit tourner sur moi-même de plus en plus vite. Je dus arrêter rapidement le souffle court à cause des talons de mes bottines qui n'étaient pas confortables pour l'exercice. Archie était aussi rouge que moi et nous échangeâmes un regard avant d'éclater de rire.
Lord Cavendish choisit ce même instant pour s'annoncer. Nos yeux étaient encore brillants et nos mains jointes quand il nous salua.
— Je vois Lady Eleanor que vous ne m'avez pas attendu. Qui est donc votre nouveau cavalier ?
Son ton était léger, même Tante Kate sourit à son trait d'humour.
— Lord Damian, voici mon cousin Lord Archibald, Baron de Clifford. Archie, voici Lord Damian Cavendish, le fils aîné du Comte du Devonshire.
— Lady Eleanor souhaitez-vous que votre cousin nous accompagne pour la balade ?
Archie leva un regard d'envie vers lui, mais Tante Kate tua immédiatement cette idée dans l'œuf.
— Je suis désolée, Lord Cavendish, mon fils a une leçon de mathématiques de prévu.
— Maman ! se plaignit l'intéressé.
Elle le gronda.
— Si tu avais fini tes exercices en temps et en heure au lieu de faire des bêtises, j'aurais peut-être revu ma décision. Va rejoindre ton précepteur.
Archie s'en alla, les bras croisés en marmonnant. Sa mère ajouta en me regardant.
— Je vais appeler Lisa pour qu'elle t'apporte ton chapeau.
Quelques instants plus tard, nous rejoignîmes le phaéton de Lord Damian. Il m'aida à m'installer à ses côtés et nous prîmes la direction vers Hyde Park.
J'étais nerveuse à l'idée d'être dans l'endroit le plus fréquenté de Londres. Je savais que les commères n'attendaient que de me voir à cet endroit en compagnie de Lord Damian. Cependant, bien que nous nous rendions dans un des lieux de prédilection de la haute société, nous allions pouvoir mener une conversation privée à l'insu de tous. Je me lançai.
— Comment s'est passé le dîner chez le Marquis d'Hertford ?
Il soupira.
— J'avais espéré profiter de l'occasion pour parler à Lucinda, mais elle m'a évité une bonne partie de la soirée. Quand, par hasard plus ou moins fortuit, nous nous sommes retrouvés seuls, nous avons été rapidement interrompus par l'un de ses cousins, le plus jeune fils de notre hôte. Après cela, il a surveillé mon comportement et je n'ai pas osé insister pour ne pas mettre Lucinda dans l'embarras.
Je souris et adressa un signe de la main à une amie de ma tante. Si j'ignorais les autres promeneurs, notre conversation semblerait suspecte. J'attendis ensuite qu'il salue l'une de ses connaissances avant de lui demander :
— Si vous avez pu parler tous les deux plus longuement que lui auriez-vous dit ?
— Je lui aurais expliqué les raisons de ma présence sur les lieux de notre rencontre. Je connais la sienne et pourquoi elle a quitté précipitamment Londres peu de temps après. Au théâtre, nous avons été interrompus avant que je puisse me justifier. Malheureusement, je pense que je n'aurais plus d'occasions comme celle-ci pour lui prouver ma bonne foi. Lors des bals, ma mère et la Haute Société me surveille, vous également, persuadés que nous allons nous marier prochainement. Si je m'éclipsais trop longtemps, j'ai peur qu'un scandale éclate et qu'il nous éclabousse tous les trois. Je refuse que l'une de vous deux soyez blessées par ceci.
— Dans ce cas, pourquoi ne pouvez-vous pas provoquer l'occasion ? Se retrouver dans un lieu où la pression sociale est moins présente et les moments de solitude plus fréquents.
Cela piqua sa curiosité.
— À quoi pensez-vous ?
— Une partie de campagne, une sortie en petits groupes, des pique-niques. Dommage que les courses à Ascot ne soient pas encore ouverte. J'espère que vous comprenez où je veux en venir.
Il acquiesça, un grand sourire aux lèvres.
— je vais y réfléchir. Je vous tiendrai au courant de ma réflexion.
Notre balade toucha à sa fin et il me reconduisit à la maison. Je retrouvais Tante Kate en train de rédiger sa correspondance et je pris un livre et m'assis près d'elle. Nous passâmes le restant de l'après-midi occupées par nos tâches.
Le soir, nous étions invitées chez Lady Cornélia avec Lucy et ses parents. Un repas en petit comité, mais au doux souvenir de ceux que je partageais avec mon frère et mes parents de leur vivant. Lady Cornélia nous régalait de ses histoires de jeunesse. Son passé de jeune fille rebelle était encore présent dans les esprits cinquante ans après les faits. Elle nous fit rire en nous racontant les réactions qu'elle obtenait des plus grands collé-monté de son époque. Ma tante lui demanda si elle regrettait certains chose de son passé. Elle lui répondit avec des mots qui résonnèrent au plus profond de moi.
— Les seules choses que j'ai regrettées, c'est de ne pas avoir écouté mon cœur et d'avoir blessé des gens qui m'étaient proches à ces moments-là. Qu'en déplaise à la société, suivre mes envies véritables m'a épargné bien des souffrances. J'ai l'intelligence de reconnaître ma chance, celle d'être bien née et d'avoir eu des parents bienveillants sinon je ne serais, sans soute, pas permis le quart de mes frasques et ma vie aurait été différente. Aurais-je été heureuse, peut-être, peut-être pas ? Je ne peux pas imaginer un passé ou un futur qui n'a pas existé et qui n'existera jamais. Le conseil que j'aime donner à mon entourage est de suivre son cœur. Lui seul saura nous guider. On ne le trompe jamais longtemps. J'oubliai, il faut surtout profiter du présent, le passé et le futur peut nous réconforter, mais aucun ne nous le fait vivre.
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Correspondances avec la Marquis (anciennement Réputation) -Terminé
RomanceAngleterre 1843 Andrew rentre en Angleterre après cinq années passées en France avec son oncle. Il retrouve sa place parmi les pairs du royaume, ses proches et surtout Eleanor, la soeur de William, son meilleur ami. Pendant ses cinq années, ils ont...