.22.

193 18 10
                                    

Pdv Bakugo
On me traîne jusqu'en bas de la montagne. On me presse le pas, mais je trébuche sur les corps qui jonchent le sol. Je croise le regard vide de la fille de la voisine, avec qui je m'entendais bien. Je comprends qu'on ne jouera plus ensemble.
Poussé par un espoir d'enfant, bercé des illusions qui m'ont élevé, je me dis que Mémo va venir me sauver. Après tout, on l'idolâtre depuis tellement longtemps, ça ne peut pas être pour rien. Lorsque le véhicule s'ouvre et que je suis attaché à l'arrière, je me doute que ça n'arrivera pas.
La poussière me brûle la gorge. Je tousse. J'entends une voix au loin, je reconnais mon nom. Je me dis que ça doit être le gars de tout à l'heure et le reste de son groupe.
J'ai faim.
Je cligne des yeux, et les parois du camion sont ouvertes. On m'enfonce une muselière sur le visage. Les liens de cuir me brûlent la peau. De nouvelles personnes me tirent à l'extérieur. Je perds l'équilibre. Le sol gèle mes pieds nus.
Je suis entouré par la foule, mais je sais déjà où regarder. Un gosse me fixe, l'air curieux et intrigué. Il me pointe du doigt.

- Qui c'est ?
- Quelqu'un qui amusera les gens.

Son expression change. Il fronce les sourcils, et je le perds de vue. Une personne passe devant moi, et soudain le décors change à nouveau. Quelques jours auraient dû passer, et je suis maintenant dans l'arène, tout petit face à l'imposante musculature de mon adversaire. Ce n'est qu'un entraînement, on jauge mon niveau. Celui qui est chargé de l'examination est le seul qui m'ait adressé la parole de toute l'ambuscade. Celui qui m'a trouvé, celui avec la peau calcinée. Je me dis que si je m'applique à survivre sans faire de grandes impressions, ça devrait me faciliter pour la suite. Le signal de départ est déclenché. J'évite le premier coup de justesse. Il est rapide, bien plus que moi. En même temps, l'écart d'âge force un certains rapport de dominance qui ne m'est pas favorable. De plus, il a une expérience que je n'ai pas.
Une expérience que je finirai par avoir.
Il me frappe au torse. Ma respiration s'arrête. Quelque chose a craqué contre ma poitrine : je découvre la cage thoracique. Je serre les dents et me relève. Ne pas réagir.
Il faut qu'ils pensent que je suis inutile. Sous l'œil spéculateur de l'examinateur, je me relève avec une difficulté exagérée, quoique très douloureuse. Nos regards se croisent, et je sais que c'est trop tard. Je vois à son expression qu'il sait. Il esquisse un sourire.

- Changement de programme ! Le combat s'arrête à la mort de l'autre !

Je m'attends à observer une lueur d'hésitation dans les yeux de la créature, peut-être une réticence à tuer un enfant. Mais non. Il se jette sur moi. Mon corps comprend avant moi que la fuite n'est plus envisageable. Par réflexe plus que par réflexion, je place mes bras devant moi. Une lumière. Puis un «boum» significatif. Mon adversaire est projeté en arrière et atterrit sur le dos. Il crache. Un filet de sang reste au coin de ses lèvres. J'ai un haut le cœur en voyant ses muscles monstrueux se contracter lorsqu'il se relève.
Il grogne. Lentement, il avance. Plus je le regarde et moins sa corpulence me paraît imposante. Il a l'air de rapetisser à mesure que la distance entre nous s'amoindrit. Ma méditation n'a pas le temps d'aller plus loin : il s'élance à nouveau. Évidemment, je rétorque. Ma main se bloque dans son torse, enfoncée jusqu'au coude. Elle ressort de l'autre côté, quelques uns de ses organes déchirés gisants sur ma peau. Je croise son regard, mais ce n'est déjà plus le siens. C'est le miens. Et puis il change, encore. Un vrai métamorphe. Des cheveux prennent place, en partie, et les dents s'aiguisent, et l'arcade sourcilière se creuse pour laisser entrevoir une petite cicatrice.
Eijiro.
Et soudain, mon bras me brûle et je veux l'extraire de ce corps que je veux protéger bien plus qu'abattre. Mais ce ne sont que des souvenirs, tout ça. C'est trop tard, c'est irréparable, irattrappable. Je ne peux que les revivre sans les changer, que souffrir et étouffer. Je n'arrive plus à respirer.
Son enveloppe se désintègre, et seul son coeur reste dans ma main jusqu'à se confondre dans la poussière et me laisser à son tour.
Je murmure son nom. Je tousse.
J'ai mal.
Tout mon être est comme divisé, dédoublé. Je suis transposé dans un moi-même d'une autre époque, mais du même lieu. Je revis une histoire que j'ai vécue avant même d'exister.
Autour de moi, les pierres vides des gradins se modulent jusqu'à former un public tout entier. Les vêtements que portent les spectateurs ne ressemblent en rien à ceux d'aujourd'hui, mais leur visage est le même. Tous ces excités malsains qui acclament la mort d'un autre comme s'ils n'étaient pas responsable.
Putain, comme je les hais.
Je hurle et tout explose. Un trou espace temps. Tout mon corps brûle. Je ne suis pas certains que ça vient de moi. A l'extérieur, j'ai mal, je sens ma chair fondre. À l'intérieur, c'est pire.
Et puis quelque chose se passe. Je vois un bras se séparer du miens, et puis tout un torse, et puis tout un être.
Face à moi-même, je me contemple en silence. Je ne mets pas longtemps à comprendre. Tout un tas de réponses afflue, et tout un tas de questions s'en suit, mais mes lèvres restent closes.
Je fais peine à voir, même dans ''l'autre époque''. À en juger par sa tenue, par ses blessures, il vient de finir le combat que j'ai entrevu quelques secondes plus tôt. Dévasté. Il jette un regard au cadavre sur le sol avant de se reconcentrer sur moi.
Eijiro.
Dans ses yeux, je peux voir un monde s'écrouler, et l'espoir de le reconstruire s'échapper complètement. Je ne prête pas attention à ma peau consumée par un pouvoir qui ne m'appartient qu'à moitié. Ce sont ses explosions à lui qui m'ont brûlées.
Ses doigts, lasses et fatigués, se lèvent et me montrent une silhouette un peu plus loin.
Kirishima.
Eijiro.

Fire On Fire [Kiribaku] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant