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Pdv Kirishima
Son allure ralentit à mesure que nous avançons.

- Ça ne va pas ?
- Si.

Mais je vois bien que non. Le bout de ses doigts tremble, et il irait presque plus vite en y allant à reculons. Je pose une main réconfortante sur son épaule, et il sursaute.

- Ça va aller.

Ses yeux restent longtemps sur moi. Il s'est arrêté sans que je ne m'en rende compte, et je l'ai suivi dans son élan. Son bras se lève et se tend en direction d'une porte un peu plus délabrée que les autres. Il n'a même pas besoin de parler. Des frissons de déjà vu parcourent mon corps, et une part de moi ne veut déjà plus rester. Mais je n'ai pas fait tout ce caprice pour faire demi-tour maintenant. Ma main s'échappe de son épaule pour longer son dos et retomber mollement le long de mon corps.

- Je passe devant.
- Hors de question. Je passe devant, Kirishima.

Je n'ose pas le contredire. Il pousse le bois, qui craque affreusement. On dirait presque un hurlement.
La pièce est vide. La pièce est vide, et pourtant, Bakugo est planté, raide, à quelques centimètres à peine, le regard à la fois fixe et fuyant.

- Bakugo ?

Seule sa respiration transperce le silence : elle ne fait qu'accélerer. Son souffle devient plus fort, et je ne sais pas comment réagir, si je dois le toucher, lui parler, le regarder. Je ne sais pas, et j'ai peur. Il déglutit du mieux qu'il peut, avec difficulté, et reprend son halètement oppressé. Ses pupilles sont toujours plantées sur le même point, mais je ne comprends toujours pas.
Je prends doucement son visage. J'ai besoin qu'il me regarde, j'ai besoin de savoir que je ne l'ai pas perdu, parce que tout de suite, maintenant, je suis incapable de trouver quoi que ce soit, qui que ce soit dans ses yeux. Et ça me terrifie.

- Bakugo ?
- Regarde.

Sa voix me guide jusqu'à un encadrement vide, qui laisse pleine vue sur une pièce qui l'est tout autant. Et d'un coup, sa respiration se cale sur la cadence de la mienne. A moins que ce ne soit l'inverse. Dans l'ombre se détache de la lumière, et de la lumière se détache l'ombre. Et de tout ça se distingue un corps, une silhouette si douce, si élégante qu'on ne la croirait pas pendue.
Et à ses pieds, là où ne régnait encore qu'une seconde auparavant un sol médiocre, je peux reconnaître un bras, une jambe, un torse, tous séparés, tous empilés les uns sur les autres, le sang n'ayant même pas terminé de s'échapper de la chaire fraîche. Les mots prennent du temps à parcourir le chemin de ma gorge à mes lèvres, mais je parviens malgré tout à articuler.

- Qui a fait ça, à ton avis ?
- Moi.

Je ne bouge pas, choqué à la fois de sa réponse et de son manque d'hésitation. Je le lâche, et tout disparaît.
Rien n'est réel, et je m'empresse de le lui dire, de le convaincre. De me convaincre.

- C'est une illusion. Tu n'as rien fait de tout ça, c'est tout... C'est tout cet endroit, l'atmosphère, ou je ne sais pas, mais ce n'est pas toi !
- Si. Regarde encore.

Mes doigts passent entre les siens. Ils s'enlacent avec une douceur que je ne lui soupçonnais pas.
Le femme réapparaît, et elle me semble si frêle que le vent pourrait la faire tanguer. Je m'attends presque à voir sa tête se tourner, ou moins, juste un petit signe, un craquement d'articulation, un claquement de langue.
La pression de ses doigts est irrégulière, mais je ne suis pas certain qu'il cherche réellement à le cacher. Il est véritablement absorbé par la scène qui nous est proposée.

- Ça se répète.
- Comment ?
- L'histoire. Ça se répète, ça se répète, ça recommence encore, putain !
- Calme toi, Bak-

Il me pousse et hurle entre ses mains.

Pdv Bakugo
Ça me brûle. Quelque chose déforme mes organes, les rétracte, les gonfle, les écrase et les piétine et les mâche et les enflamme et les consume et j'ai mal.
Et j'ouvre la bouche mais rien ne sort, rien ne sort et pourtant je me sens tellement creux que j'ai peur de disparaître.
L'eau embrase mes joues et mes yeux, elle dévale mes cils et ma peau pour s'infiltrer entre mes lèvres séparées par des sons si rauques, si forts que je me demande comment ils peuvent sortir de mon corps.
Mes mains se perdent dans mes cheveux, à demi conscientes, et tirent, tirent juste pour être sûres que je suis bien là, que je ne suis pas démembré comme ceux là-bas, à peine plus loin, que je suis bien en vie, avec Kirishima, et que...
Kirishima.
J'essuie rapidement mon visage et le cherche. Il me fixe, semblable à tous ces foutus spectateurs dans cette foutue arène, avec cette expression de curiosité et de crainte, mais ça n'a aucune importance, ici.
Mes genoux raclent le sol et je sens mes bras se lever sans que je ne le demande. Après tout, quand l'esprit n'est plus disponible, le corps sait ce qu'il doit faire. Enfin, je suppose, je l'espère.
Kirishima s'avance, le premier mètre visiblement difficile à franchir, puis m'étreint avec précautions, plus que nécessaire.

Pdv Kirishima
Il ne réclamait pas de signe d'affection. Son geste est trompeur, mais je sais que ce n'est pas ça. Je le sens à sa façon de me tenir, de me serrer contre lui comme si j'allais me volatiliser.

- Je suis là, Katsuki. Je suis là.

Et quelque chose se passe. Un basculement. Son toucher s'intensifie en accentuant sa tendresse, et ses lèvres contre les miennes me sont si familières que je suis moi-même stupéfait devant le naturel de ma réaction. Mais je n'ai même pas le temps de m'en rendre compte que je suis à nouveau debout, comme si rien ne s'était passé. Mais je sais que l'ai appelé par son prénom, je sais qu'il m'a embrassé, et que je lui ai rendu son baiser. Je sais que c'était réel, et je ne laisserai pas tous ces souvenirs me filer entre les doigts. Le bord de ses yeux est rouge, et les larmes disparues ont creusé des sillons sur sa peau. Il faut partir avant que quelque chose d'autre ne se passe. Bakugo n'est pas dans son état normal, et ce qui vient de se dérouler est plus qu'alarmant.

- On peut rentrer ?

Il acquiesce, mais ne se retourne à moment pour rejoindre la porte. Un pas après l'autre, marchant en arrière, il l'atteint. Il me fait sortir le premier, une main appuyée sur mon dos pour me presser un peu. Malgré tout, je jette un coup d'œil par dessus mon épaule. Contre un mur, un peu plus loin, une ombre est enchaînée. La tête baissée, une substance poisseuse et rougeâtre engraisse les cheveux en épis du jeune homme qui porte les vêtements décorés du blazon de ma famille.
Derrière nous, Bakugo referme la porte.

Fire On Fire [Kiribaku] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant