Le visage de Lise, ses yeux rouges, tournent en boucle dans ma tête depuis des heures. Qu'est-ce que je peux faire ? J'aime pas du tout la voir mal. J'aime vraiment pas du tout savoir que c'est à cause de moi qu'elle est comme ça. Que feraient les Divinités ? Je ne veux pas leur demander, et avouer qu'elles avaient raison et que j'aurais dû les écouter...
Probablement qu'elles me diraient de ne pas en faire plus, d'arrêter là les dégâts. Mais ça, c'est la seule chose que je peux pas faire. J'ai trop besoin de Lise. Sinon, je ne suis pas capable d'être le marchand de sable. Sans elle, je ne tiendrai pas un mois avant de rejoindre l'au-delà, écœuré du nuage. Quand je pense ça, j'ai envie de me taper, de me secouer la tête jusqu'à me débarrasser de cette idée égoïste. Je n'ai pas le droit d'être égoïste. Ça aussi, si elles le savaient, ça décevrait les divinités. C'est quand les premiers échos de dormeurs arrivent que je me rends compte que ça fait des heures que je repasse en boucle les mêmes idées dans ma tête. Les fils invisibles commencent à me tirer, et je me laisse guider jusqu'aux premiers dormeurs qui ont besoin de moi. Ça n'est pas assez pour me changer les idées, parce que maintenant, je peux créer des rêves sans vraiment y penser, c'est devenu une seconde nature. Alors, je m'occupe de deux dormeurs en même temps, puis trois par trois, quatre par quatre, huit pas huit, dix par dix. Ça commence à demander un sacré effort, mais au moins je n'ai pas la place pour autre chose.
C'est un des fils qui a une couleur et une odeur que je connais qui rompt le charme. Je laisse le fil se dérouler jusqu'à Catherine, la maman de Lise. Son sommeil est déjà agité, des échos la perturbent. Je pose ma main sur sa tête, et me laisse glisser dans ses pensées. À l'intérieur, je découvre des souvenirs de Lise partout. Super, complètement ce qu'il me manquait. Je chasse les échos qui parasitent son sommeil, les images de Lise sous la pluie, au piano, puis devant une salle remplie d'élèves.
Je sais que Lise n'aime pas quand je fais ça, même si je comprends pas toujours bien pourquoi, mais j'ai besoin de voir pour l'aider. Elle n'a pas l'air vraiment elle, sauf au piano que j'écoute de mon mieux, malgré les sons étouffés. Pourquoi se cache-t-elle comme ça ? Cette fois, je prend le temps de réfléchir au rêve que je vais lui souffler. Je suis un peu bloqué. Normalement, un rêve doit aider son dormeur à aller mieux, à digérer sa vie. Mais là, ce n'est pas Catherine que je veux aider, c'est Lise. Les divinités ne seraient pas très contentes, je crois. Mais c'est ma nature qui prend le dessus et commence à façonner le rêve que j'ai en tête. Quand j'ai fini, le sommeil de Catherine est plus léger, paisible. J'ai bien travaillé. Je laisse le fil me glisser des doigts, et regarde une dernière fois mon travail. Lise, au centre, pleure. Elle pleure, et sa mère se sent impuissante. La chambre, puis toute la maison, se mettent à trembler. Le plafond commence à se décrocher, et à tomber, mais toutes les deux restent immobiles. Lise parce qu'elle ne voit pas ce qu'il se passe, Catherine, car elle a peur. Je la retiens jusqu'au dernier instant, puis enfin la laisse se ruer sur Lise, pour la tirer hors de la pièce. Elles sortent, la maison continue de s'écrouler. Mais cette fois, je fige de nouveau Catherine, elle ne peut plus bouger qu'au ralenti. Et c'est Lise qui soudain sort de son malheur et l'aide, la tire, la protège des impacts. Quand elles sortent enfin de la maison, celle-ci prend feu. Lise prend sa mère par les épaules. " Je suis grande maman. Je peux prendre soin de moi. Pourquoi tu ne me fais pas confiance ?".
Avec ça, Catherine va se réveiller très triste. Mais avec un peu de chance, ça la marquera assez pour qu'elle arrête d'essayer de contrôler Lise tout le temps. Dans ma tête, je refais apparaître l'image de Lise devant les autres élèves. J'explore le souvenir, enregistre les visages, les empreintes des autres élèves. Ça me sera utile pour la suite. C'est le seul impact que je peux avoir sur la vie dans la réalité de Lise. Peut-être que je peux pousser les gens à inconsciemment l'apprécier. Ça vaut le coup d'essayer. Les recoins de mes lèvres se relèvent, peut-être que ça a ses avantages d'être marchand de sable après tout.
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Le marchand de sable
FantasyDans le monde réel, Lise se sent seule, menacée, écœurée des humains. Sa vie quotidienne, elle la passe en apnée, s'accrochant à son secret pour supporter et survivre. Car Lise est une rêveuse. Chaque nuit, alors que les autres dorment, elle, a la c...