1- Lise

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   Pour la cinquième fois en 10 minutes, je relève légèrement la tête et jette un coup d'œil à l'horloge accrochée au-dessus du tableau. Je soupire de manière presque indétectable, et la personne installée à ma droite ne semble pas le remarquer. Ou alors, elle s'en moque. Le prof continu de parler avec agitation, apparemment décidé à rentabiliser les deux uniques heures qui lui sont attribuées par semaine pour nous torturer. Le tableau est couvert de gribouillis, certains ressemblant plus que d'autres à des schémas.

Quitte à être enfermée dans cette pièce, je pourrais écouter. C'est ma mère qui m'a dit ça la semaine dernière, quand j'ai ramené un énième 8 sur 20 à la maison, ce qui d'après moi est une super note, vu que je ne savais même pas sur quoi portait le contrôle. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est que c'est au-dessus de mes forces. Je ne peux pas. Et je ne veux pas. Pourquoi faire ? Ça n'a pas l'air de leur réussir si bien, à tous ceux qui écoutent. Ça ne les rend pas meilleurs, ou plus intéressants.

Peut-être qu'on leur fiche un peu plus la paix, à la limite. Will n'est jamais allé à l'école, il n'en a pas eu le temps, mais c'est de loin la meilleure personne que je connaisse. Je réalise soudain que le prof s'est arrêté de gesticuler, et me regarde. Merde. Mon ventre me fait mal, et ma respiration s'accélère.

- Vous pouvez répéter ? Je n'ai pas bien compris.

80 % du temps, cette phrase fonctionne. Et aujourd'hui doit faire partir des jours un peu moins mauvais que les autres, puisque le quinquagénaire en face de moi se contente d'un haussement de sourcil avant de répéter sa question.

- Est-ce que mademoiselle Oketch pourrait nous rappeler ce qui entoure le noyau de la cellule, dont nous venons de faire l'illustration ?

Tous les regards sont tournés vers moi, et me brûlent. Je sens mes jambes me picoter et mon estomac s'en donne à cœur-joie. Il faut que ça s'arrête vite. Sur le coup, mes pensées s'embrouillent, et de toute manière, ça m'étonnerait que cette information soit stockée quelque part là-haut. Il faut que je dise quelque chose, n'importe quoi. Il ne me lâchera pas avant.

- Euh... la graisse ?

Soupire, et quelques ricanements derrière moi.

- Monsieur Verlier, une autre idée ?

Ça y est, le calvaire est fini. En l'espace de quelques secondes, je suis redevenue invisible, insignifiante au reste de ma classe. Un nouveau coup d'œil à l'horloge m'indique qu'il ne reste plus que dix minutes avant la sonnerie. Je fais mine d'écouter le reste du cours, pour ne pas multiplier mes chances d'humiliation publique, et attends, prête à bondir de ma chaise à l'instant où j'en recevrais le signal.

Au fond de la classe, je peux percevoir les murmures et ricanements d'Ethan, Julie et Marc. Mais heureusement, c'est notre dernière heure de cours ensembles, ils n'auront pas le temps de m'approcher.

Dix minutes plus tard, je sors de la classe dans les premiers, en me faufilant et en esquivant les autres. Eux prennent leur temps, discutent. C'est leur dernière heure de la journée. Moi, il me reste encore l'option art. Une fois assez loin pour être sûre qu'aucun ne me rattrape, je ralentis le pas. Pas la peine d'arriver en avance au cours. Quand l'année dernière, j'ai demandé cette option, c'était un choix purement stratégique. Après un an dans la même classe que les vautours, je croyais que la section art me permettrait d'aller avec les autres de l'option, qui sont moins mauvais.

Comme tout ce que je veux, ça ne s'est pas passé comme prévu. Ce n'est que le jour de la rentrée, devant les listes, que j'ai vu que la classe étant surchargée, je ne les rejoindrais que pour l'option. Ce qui voulait dire une nouvelle année à voir Julie et les autres tous les jours. Ce n'est qu'en sentant la douleur que je réalise que j'ai encore planté mes ongles trop fort dans la paume de ma main.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant