11-Lise

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La journée s'écoule rapidement. Enfin, rapidement... compte tenu du fait que je ne peux pas la passer à dormir. La directrice m'amène à ma classe, et je dis au revoir à ma mère devant la porte, sans savoir quand je la reverrai la prochaine fois. Comme toute mère modèle, ses yeux se remplissent de larmes, et elle me sert fort dans ses bras. Quel cinéma. Je la laisse là, sachant très bien qu'elle va me guetter derrière la vitre. La directrice m'ouvre la porte, et je rentre dans la salle, en plein cours d'histoire, à en juger par les images et les dates au tableau. La première guerre mondiale. Super, voilà qui change.

- Monsieur Naltris, désolé de perturber votre cours. Voici la nouvelle élève dont je vous ai parlé plus tôt. Mademoiselle Lise Oketch. Les enfants, je compte sur vous pour lui réserver un chaleureux accueil, et bien l'intégrer parmi vous.

Les "enfants" en question hochent la tête sans grand enthousiasme, mais aucun ne me fixe avec trop d'insistance, aucun ne me foudroie du regard. Ma main se décrispe un peu, et alors que je vais m'asseoir au fond de la salle, je me rends compte de la tension dans mes épaules. Tout va bien. Si je ne les laisse pas m'approcher, je ne risque rien. Et puis ils sont moins nombreux que les autres. Une quinzaine au maximum. Je les compte. Huit filles, sept garçons. Quinze tout pile. Aucun n'a l'air particulièrement dérangé, ou énergique. Plus leurs regards sont vides et apathiques, le plus en sécurité, je me sens.

À l'heure du repas, je les suis, un peu en retrait, jusqu'à la salle à manger. Il s'agit d'un buffet, et chacun se sert ce qui lui plaît. Alors que je parcours les plats, je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il n'y a pas de couteaux et que les carafes et les verres sont en plastique. Pédagogues, mais pas stupides. Je me demande pourquoi les autres sont là. Et depuis combien de temps ? Est-ce qu'une fois qu'ils ont fait leurs preuves, ils sont réintégrés dans une école normale, ou est-ce qu'ils restent ici ? Est-ce qu'ils ont tous fait des bêtises pour arriver là ? Évidemment, je ne pause pas la question, et après avoir rempli mon assiette, je vais m'asseoir entre deux groupes, pour que de loin, on pense que je suis avec eux, mais qu'eux ne s'y trompent pas. L'art qu'on me foute la paix, toute une stratégie, qui pourtant ne marche pas systématiquement. En tout cas aujourd'hui personne ne vient essayer de me tenir compagnie.

Le reste de la journée, je continue de suivre ma classe, observant les autres, prenant des notes mentales. Bizarrement, aucun n'a le profil du harceleur. Beaucoup semblent simplement se laisser porter par le mouvement. J'en ai aperçu plusieurs prendre des médicaments au repas, peut-être des calmants. Ça ne serait pas très étonnant dans une école pour enfants " spéciaux". Personne ne parait s'intéresser à moi, et ça me va très bien. Le soir, je découvre qui sont les trois filles avec qui je suis obligée de partager ma chambre, et ça pourrait être pire.

- Je suis Émilia, dite Émie voici Christina, dite Chrissie, et Olivia, dite Olie. Se présentent mes toutes nouvelles colloques quand nous nous retrouvons toutes ensemble sur le pas de la porte. Avec leurs peaux blanches et leurs cheveux châtains, j'ai envie de leur demander si elles sont sœurs. À tous les coups, je vais passer la première semaine à interchanger leurs noms.

- Lise dite Lise. Je me présente en me forçant à sourire.

Aucune d'entre elle ne semble booster sa confiance en elle en écrasant les autres, mais on ne peut jamais être sûre.

La nuit est trop courte, bien trop courte, et quand les cloches se mettent à sonner, je suis brutalement arrachée du nuage. D'abord, je ne comprends pas d'où vient le son. C'est Christie, ou Olie, je ne suis pas sûre, qui m'explique.

" Ce sont les cloches de la petite chapelle derrière le château. On les entend aussi sur l'heure du repas en général. "

Super, je sens que je vais ressortir de cet endroit avec une véritable phobie pour les cloches. Les filles se changent dans la pièce, mais je ne peux pas. Après avoir attrapé mes vêtements, c'est d'ailleurs étonnant qu'ils ne nous aient pas imposé un uniforme vu l'ambiance, je m'enferme dans la salle de bain. Sous mes pieds, le carrelage est glacé, mais je préfère me déshabiller à l'abri des regards. Je troque mon pyjama pour un pull noir, et un jean qui recouvre l'intégralité des traces roses sur ma peau. Il y a tellement de raisons que les autres puissent me trouver bizarre, je ne vais pas leur en rajouter une dès le début.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant