28- Lise

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Je m'enfonce ; dans la fatigue, dans les mensonges, dans la peur.

Comment est-ce que je vais expliquer à Will que je suis moins là ? Comment, moi, je vais tenir le coup ?

Déménager mes affaires dans ma nouvelle chambre me prend moins d'une heure. Je n'ai pas beaucoup d'affaires. Le plus long est de traverser tout le bâtiment avec. Au moins, maintenant, je suis voisine de la salle de musique. Ça pourrait être pire, je suppose...

Depuis la dernière visite de ma mère, où j'ai écoulé assez de larmes pour les dix années à venir, j'ai l'impression de tout vivre en sourdine. Comme si je n'étais plus vraiment au contrôle, mais en pilote automatique. Je suppose que c'est mieux comme ça.

Ma nouvelle chambre est plutôt sympa, spacieuse et lumineuse. Un peu froide avec son sol en pierre, mais c'est pas comme si je passais ma vie par terre.

Je range mes affaires dans l'armoire en bois massif, bien trop grande pour ce que j'ai à y mettre. Avant de me laisser m'installer, Mme Zufingere m'a promis qu'elle passerait me chercher dans une heure, pour m'amener à mon cours de littérature. Super.

Les autres élèves ne manquent pas de me fixer quand je me mets dans le rang avec eux. Je suppose que je ne l'ai pas volé. Mais c'est désagréable. J'appuie à répétition sur un stylo qui traîne dans une des poches de mon manteau, histoire d'occuper mes mains, et pour éviter de me faire saigner avec mes ongles.

La cloche sonne, et je ressens une vague de soulagement, avant de me rappeler que ce bruit marque le début de deux interminables heures de cours. La torture ne fait que commencer.

- Mademoiselle Oketch ? Je voudrais vous parler un instant, si vous pouvez rester.

Mes camarades s'échappent, mais je n'ai pas cette chance. Je m'assois sur la chaise que me tire ma professeure de littérature. Qu'est-ce qu'elle me veut ?

Elle esquisse un sourire qui se veut probablement doux, mais qui me fout les jetons.

- Vous avez manqué beaucoup de cours depuis le début de l'année, et je ne vais pas vous cacher que vous allez avoir beaucoup de mal à tout rattraper d'ici aux épreuves de juin.

" Mais..."

- ... Mais j'en ai discuté avec Mme la directrice, et je vais faire de mon mieux pour vous aider.

J'incline légèrement la tête et plisse les yeux, dubitative, en attendant qu'elle continue.

- À partir de ce soir, je vous ferais une heure de cours de soutien, et quand je ne pourrai pas, un collègue prendra le relais. Nous allons vous soutenir en bonne et due forme.

L'enthousiasme qui imprègne ses paroles semble sincère, ce qui m'écœure, et m'estomaque encore plus. Je ne l'avais pas vu venir celle-là. Pourquoi tout le monde s'entête à m'aider ?

Ça fait longtemps qu'ils auraient dû abandonner.

Je quitte la salle, encore perdue dans mes pensées, et ce que j'essaie d'éviter depuis des semaines arrive : je me cogne dans quelqu'un. Et pas n'importe qui. Sur toutes les personnes que je pouvais percuter, il a fallu que ça soit Damien.

Je manque de tomber à la renverse, et le choc se propage dans tout mon corps. Il n'a pourtant pas l'air si solide que ça.

Il me retient par le poignet, et alors que je me stabilise, je vois qu'il ne peut s'empêcher de reluquer les tâches qui l'entourent.

- Désolé. S'excuse-t-il quand je retire brusquement mon poignet.

Je hausse les épaules. À l'intérieur, je tremble, une envie irrésistible de partir en courant me saisit sous son regard inquisiteur.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant