39-Lise

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Ma mère se gare devant la maison de mon ancienne nourrice. Je sais sans avoir besoin de demander que c'est la même maison. Un malaise m'envahit à cette vue, et moi qui n'avais jusque-là aucun souvenir net de l'année de mes cinq ans, me revois marcher main dans la main avec ma maman le long de cette allée, une peluche bien trop grande pour moi dans l'autre main. Je me remémore les moments passés sur la balançoire devant la maison et à jouer dans le bac à sable avec les autres enfants.

- On y va ? Me demande ma mère, d'un ton doux, de peur de me brusquer.

En guise de réponse, j'ouvre la portière et sors dans la rue. Devant le portail, je dois respirer un grand coup avant de sonner. Je ne me suis pas risquée à imaginer ce que pourrait donner cette rencontre, ou à trop m'étendre sur ce que j'en attends. J'ai trop peur d'être déçue.

La porte de la maison s'ouvre presque aussitôt, et une petite dame, ne dépassant probablement pas le mètre cinquante, s'avance vers nous, un petit garçon assoupi dans ses bras.

- Je vous attendais avec impatience ! Nous dit-elle, la voix entre le murmure et l'exclamation pour ne pas réveiller le petit.

Ma mère ouvre le portail, et nous rentrons.

- Mme Oketch ! Vous n'avez pas pris une ride en dix ans ! Et ma petite Lise, qu'est-ce que tu as grandi. Je ne t'aurais pas reconnu si je t'avais croisé dans la rue. Mais qu'est-ce que tu es jolie, mon poussin.

Ni ma mère ni moi ne savons vraiment comment répondre, et nous nous regardons dans un silence gêné.

- Merci de nous accorder un peu de votre temps. C'est très important pour Lise. Finis par dire ma mère.

- Mais bien sûr ! Entrez donc, vous voulez boire quelque chose ? Un thé peut-être ? Les enfants sont tous à la sieste.

- Pourquoi pas un thé.

Nous rentrons dans la maison, et la sensation de déjà vu se fait encore plus forte, l'odeur de la lavande et du papier peint font remonter de nouveaux souvenirs. La tête me tourne légèrement, mais je suis capable d'encaisser.

Charlotte, c'est comme ça que ma mère l'appelle, dépose le petit qu'elle tenait jusque-là dans ses bras dans un petit lit au milieu du salon.

- Installez-vous, je fais chauffer de l'eau !

Ma mère et moi nous asseyons autour de la table de la cuisine, et alors qu'elle nous tourne le dos, je peux observer Charlotte sans vergogne. Les marques de brûlures que je n'avais pas remarqué au départ s'étendent sur presque tout son cou et sa nuque, et alors qu'elle attrape les infusions sur une étagère, je peux en apercevoir d'autres sur ses avant-bras. Elle a sans aucun doute été exposée aux flammes bien plus que moi.

- Alors, qu'est-ce qui vous amène ? Pas que je ne sois pas contente de vous voir, mais après 11 ans sans nouvelles, je ne m'y attendais pas trop.

Ma mère tourne la tête vers moi, et je lui fais un petit signe, je gère.

- Après l'incendie, j'ai fait une grosse amnésie de tout ça. La mémoire m'est revenue il y a quelques jours, et je voulais faire la paix avec toute cette histoire. Je crois que ce traumatisme a compétemment anéanti la confiance que je pouvais avoir dans les autres, parce qu'inconsciemment, j'étais persuadée d'avoir été abandonnée ce jour-là. Voir que ce n'est pas le cas m'aide à surmonter tout ça.

J'ai parlé d'une traite, et rien n'était spontané. Ces mots, j'ai dû les repasser dans ma tête une centaine de fois la nuit dernière. La seule chose qui n'était pas prévue, c'est la réaction de Charlotte. Les larmes lui montent aux yeux, et quand elle reprend la parole, j'ai l'impression qu'elle va pleurer.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant