27-Lise

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Pendant 3 jours, je ne sors pas de mon lit, et Olivia ne me regarde même plus de travers. Ce n'est que quand je reçois un appel de ma mère, que j'ai l'impression de sortir de ma paralysie.

- Il est sorti d'affaire. Il part ce soir en cure de désintox.

- C'est lui qui en a fait le choix ?

- Il n'en a pas eu l'opportunité. Il y a des charges contre lui, à cause de la drogue, d'un trafic. C'était la cure ou la prison. Bien que ça n'empêche pas, mais on espère que les juges seront plus cléments.

- Tu me tiens au courant, d'accord ?

- Bien sûr.

Après ça, je peux revenir à ma vie d'avant, comme si de rien n'était. Du moins, je fais de mon mieux. Je continue de sécher un cours sur deux, mais il ne me faut qu'une semaine pour me retrouver de nouveau dans le bureau de cette chère Mme Zufingere.

Je suppose que la trêve est terminée, le joker "famille malade" est utilisé.

- Tout d'abord, je vais pouvoir récupérer ton téléphone jeune fille, tu n'as plus de bonne raison de l'avoir.

Je lui tends sans rechigner. Tout le temps que je pourrais passer dessus, c'est du temps de sommeil en moins. Et puis pour quoi faire ? Je ne supporte pas les humains en vrai. Quelle différence sur un écran ? Enfin si, tous leurs défauts sont exacerbés, je suppose...

- Vous savez que ce n'est pas le problème, pas vrai ?

- Peut-être, mais ce n'est pas à toi d'en juger.

Elle marque un temps d'arrêt et soupire.

- Ça ne peut pas continuer comme ça Lise. J'espérais que te donner un peu d'espace marcherait, mais je dois reconnaître que tu es plus consistante que ce que je pensais.

- Merci.

Nouveau soupir. Sa main posée sur l'accoudoir de son fauteuil en tapote nerveusement le cuire.

- Tout cela n'est pas un jeu Lise, tu mets ton avenir en péril en te comportant comme une gamine.

- Qu'est-ce que vous savez de mon futur ?

- Que n'importe qui a besoin de travail pour vivre. Tu ne pourras pas compter sur ta mère toute ta vie.

- Vous croyez que je ne sais pas ça ?

- Tu n'en as pas l'air. Sinon, tu serais allée aux rendez-vous avec notre conseillère d'orientation. Et tu serais un peu plus soucieuse d'avoir la moyenne en classe, ou même d'aller en classe tout court.

- Je ne veux pas de tout ça. Métro-boulot-dodo. Travailler et me plier aux ordres d'un patron pour le reste de ma vie. Je ne suis pas faite pour ça.

- Alors deviens ton propre patron ! Mais par pitié, tu ne peux pas te contenter d'ignorer la situation. Ce n'est pas comme ça que tout fonctionnera l'année prochaine.

- Je peux toujours essayer.

- Si cela t'angoisse tellement, je te rappelle que nous avons un excellent psychologue, qui a l'habitude de ce genre de situation

- Si vous le dîtes. Il ne m'a pas paru si compétent la dernière fois.

- Si tu pars du principe qu'il ne le sera pas, ça risque d'être compliqué en effet. Pourquoi tu ne lui donnes pas une chance ?

Je ne réponds pas, alors Mme Zufingere se passe la main sur le visage en soupirant. Je devrais peut-être lui dire que parler à quelqu'un de ses problèmes lui ferait du bien. Il paraît qu'on a un très bon psy ici en plus. Elle ouvre son tiroir, et en tire une fiche qu'elle me tend.

- Tu as rendez-vous avec la conseillère d'orientation demain. Je viendrai te chercher à 9h30 pour t'y escorter. Voici un petit questionnaire à remplir pour elle. Prends ton temps pour bien répondre à chaque question.

Je prends la feuille, et la fourre sans ménagement dans la poche de ma veste.

- Je peux y aller maintenant ?

Elle hoche la tête, et je me lève. Alors que je m'apprête à franchir la porte, elle me retient.

- Lise.

- Oui madame ?

- Tu sais, je n'ai aucun intérêt à ce que tu ailles à l'université, ou que tu réussisses ton bac. Notre établissement a déjà d'excellents résultats et une réputation solide, ce n'est pas ça qui va l'ébranler. Tout ce que je veux, c'est t'aider, parce que ça crève les yeux que tu n'es pas heureuse.

Je referme la porte derrière, sans répondre. C'est ça, bien sûr. Et je suis débile aussi.


- Hum. D'accord. Je vois... Bien.

Je suis assise en face de la conseillère d'orientation, une petite brunette aux cheveux au carré et aux lunettes rondes, qui ne doit pas avoir plus de la trentaine. Celle-ci parcourt mon test, que j'ai pris le temps de remplir la vieille, par curiosité. Elle le repose enfin sur son bureau, puis me regarde droit dans les yeux. Je dois faire un effort pour ne pas détourner le regard.

- Donc, si je comprends bien : Tu veux un travail dans lequel tu ne vois personne, ne parle à personne, n'a de compte à rendre personne, te permet de choisir tes horaires, et de travailler depuis chez toi.

- C'est ça.

- Je ne vais pas te mentir, ça risque d'être un peu compliqué. Par contre, je suis surprise, tu n'as pas du tout parlé de salaire. C'est pourtant l'une des premières choses dont me parlent tes camarades.

- Je n'ai pas besoin de grand-chose, tant que les autres conditions sont remplies.

La conseillère hoche la tête, et je dois avouer que je m'attendais à ce qu'elle se moque de moi après lu mon test, mais elle semble me prendre au sérieux. C'est... agréable. Mais venant d'une personne dont l'ambition pour le reste de ses jours était de conseiller des ados boutonneux sur leur avenir, je ne suis pas sûre que ça compte.

- Je vois dans tes réponses que tu aimes la musique. Est-ce que tu serais intéressée par de la composition, pour des jeux vidéos, des films, par exemple ? Il existe des formations pour ça, et pas forcément très longues.

- Je n'y ai jamais pensé.

Ma réponse est un peu sèche. Je n'ai pas envie de me projeter dans le futur. De me faire des faux espoirs.Je ne veux pas appartenir à ce monde, pourquoi essayer ?

- Et bien, il n'est pas trop tard. Je vais garder ton test, et regarder les études courtes qui pourraient t'intéresser. Je te ferai parvenir un dossier avec tout ce que j'aurai trouvé. Est-ce que tu as d'autres centres d'intérêts, ou capacités qui pourraient être des pistes de recherches ?

Je secoue la tête.

- Bien. Alors, je ne t'embête pas davantage. Tu peux y aller.

La directrice m'attend derrière la porte, exactement là où elle m'a laissé. Comment se fait-il qu'elle ait tant de temps libre ? Elle ne pourrait pas aller embêter quelqu'un d'autre ?

- Eh bien, voilà une bonne chose de faite ! Maintenant que ton esprit est soulagé de ce côté-là, je vais pouvoir te parler du deuxième point que je voulais aborder.

Pourquoi je le sens mal ?

- Olivia, Christina et Émilia sont venues se plaindre. Tu les démotives à ne jamais travailler et à sécher les cours. Et elles se sentent mal à l'aise face à, je cite, " les regards méprisants qu'elle nous jette". Tu comprends bien que ce n'est pas possible. Tu vas donc changer de chambre, pour une chambre individuelle.

Je me retiens de sourire. J'ai vraiment touché le jackpot !

- Nous allons transporter tes affaires de ce pas. Tu auras la chambre à côté de mon appartement et de celui de nos surveillantes. Comme ça, il y aura toujours quelqu'un pour pouvoir t'aider à te réveiller et pour t'accompagner en cours. C'est merveilleux, tu ne trouves pas ?

Si le sourire a été facile à réprimer il y a quelques instants, cette fois, je ne peux m'empêcher de foudroyer Mme Zufingere du regard. Alors que tout allait si bien côté sommeil, tout est foutu.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant