12- Lise

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- Mais sinon, tout va bien ?

Ma mère se tient à quelques mètres de moi, assise sur la chaise de mon bureau, et je ne pensais pas pouvoir dire ça un jour, mais j'en ai marre qu'elle s'inquiète pour moi.

- Oui. Ça va. C'est merveilleux ici. Tu peux rentrer à la maison, rassurée d'avoir pris la bonne décision en m'abandonnant ici.

Ma mère lève les yeux au ciel, j'y vais peut-être un peu trop fort. Il s'agit ici d'un savant mélange entre me faire pardonner et la faire culpabiliser. Ce serait dommage qu'elle me laisse ici sur un malentendu.

- Je pensais qu'après deux semaines, tu aurais enfin arrêté de bouder. Soupire ma mère.

- Tu me connais mal.

- Mme. Zufingere m'a dit que tu t'intégrais bien, que tu avais des notes correctes, et que tu avais été très sage.

" Très sage". J'ai quoi, 5 ans ? Ça, bien sûr, je ne le dis pas. Idiote, mais pas suicidaire. Enfin pas encore...

- Je fais des efforts.

- Ça se voit, je suis fière de toi.

- Merci.

- Tu sais, j'ai fait le choix de t'envoyer ici parce que j'étais inquiète pour toi. Je ne veux pas que tu répètes mes erreurs Lise.

Ses erreurs. Mon père et moi donc...

Aussi surprenant que cela puisse paraître, on n'en a jamais vraiment parlé. Je sais qu'elle l'a quitté et est partie avec moi quand je n'avais que quelques mois, mais c'est à peu près tout. Ni l'un ni l'autre n'évoquent jamais cette période. Alors, je refoule mon agacement et l'écoute attentivement, il y a peu de choses plus fortes que la curiosité.

- Je sais que tu crois que tu es jeune, que tu peux faire ce que tu veux, mais c'est un mensonge. Un mensonge qui peut te coûter cher. Mes parents m'avaient prévenu qu'on ne pouvait pas vivre d'amour et d'eau fraîche quand j'ai laissé tomber les études de droit pour partir avec ton père. Si je les avais écoutés, je me serais épargnée beaucoup de souffrance et de déceptions, crois-moi. Ça peut te paraître dur, mais ton chemin est déjà tracé. Pour être heureuse, tu dois simplement veiller à ne pas t'en écarter. Tu comprends cela ? Et je suis là pour t'aider, pour te maintenir les deux pieds sur terre.

- Merci maman.

Ces mots-là, je les dis avec un mélange de vraie reconnaissance. Parce que d'une certaine manière, je pense qu'elle croit ce qu'elle dit, et de l'autre du dégoût, pour sa manière de se mentir à elle-même. Ce qu'elle appelle le bon "chemin", c'est ce qu'elle a passé les quinze dernières années à faire, écraser les autres, plaider pour une soi-disant justice, où tout ce qui lui importe, c'est de gagner.

- J'ai compris tout ça, je te promets que je ne le referai plus jamais.

Je sais que c'est trop tôt, mais ça fait deux semaines que la question me brûle la langue tous les jours.

- Je peux rentrer à la maison ?

Encore une fois, ma mère soupire, mais elle a désormais davantage l'air désolée qu'agacée.

- Tu sais que ce n'est pas possible Lise. Tu as le bac de français à la fin de l'année, tu dois te concentrer sur tes études, suivre de bons cours, et il n'y a qu'ici que tu pourras le faire. On en reparlera quand je serai rassurée là-dessus.

Je savais que c'était trop tôt. Peut-être que la semaine prochaine ça marchera. Après tout, j'ai encore la carte de préparer l'épreuve à la maison, avec des cours à distance. Le problème, c'est que cette carte-là a surtout un goût de vinaigre. Mais de toute façon, aussi mauvais soit-il, c'est le seul plan que j'aie pour l'instant.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant