9-Lise

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Je me réveille comme si j'avais pris une douche froide. En même temps, ce n'est pas loin, vu le regard qu'avait Will avant que je sois tirée de mon sommeil par ce foutu réveil. En dehors de ma couette, il fait un froid de canard. Si seulement je pouvais rester là toute ma vie... Mais non ! J'ai pris une décision ! Je dois m'y tenir ! Avant d'avoir le temps d'y penser, je jette la couverture à l'autre bout du lit.

- Brrr...

L'avantage, c'est qu'il ne me faut pas longtemps pour m'habiller et mettre un pull chaud. Dans le salon, ma mère m'attend avec sa tasse de café et les dossiers à étudier dans la journée. Quand j'arrive, elle me regarde avec surprise.

- Déjà prête ?

Je me penche, et pique une tartine dans son assiette.

- Eh oui ! Ce serait bête de commencer en arrivant en retard !

Je mords joyeusement dans la tartine et lui offre un grand sourire. Cette fois, elle me regarde carrément bizarrement. J'en ai peut-être fait un peu trop... La faute aux cours de théâtre que je prenais plus jeune.

- Très bien. Je te laisse déjeuner et on y va ensuite, alors.

Elle se replonge presque aussitôt dans ses papiers, je suppose qu'elle a un cas important à plaider aujourd'hui. Avocate... un boulot à la hauteur de ces humains que j'estime tant. Petite, je crois que je voulais être avocate comme ma mère. Ça n'a pas duré très longtemps. Après, j'ai compris qu'elle avait autant de satisfaction personnelle à faire gagner une victime qu'un criminel. Gagner c'est gagner.

Je mange une pomme en vitesse, puis retourne chercher mes sacs, que je porte jusqu'à l'entrée. Christophe vient me dire au revoir et m'aide à porter mes sacs jusqu'à la voiture. Je lui fais la bise sans râler, une fois n'est pas coutume. Thomas dort encore, tant mieux, il fait trop de bruit quand ce n'est pas le cas. Ma mère nous rejoint, embrasse longuement Christophe, le mari idéal, puis referme la porte de sa maison, le petit pavillon idéal, monte dans sa voiture avec son tailleur et sa mallette pour aller à son petit travail idéal. Et puis il y a moi, qui monte à mon tour et rompt le rêve. Moi, le résidu de cette ancienne vie ratée, preuve que malgré tous ses efforts, elle n'a pas pu tout recommencer et réussir. Mais je secoue la tête, dans une tentative idiote de renvoyer cette idée au fond de ma tête, pour un autre jour, ou j'en aurais marre de ne pas faire de vagues.

- Tu as dit à papa que je changeais d'école ?

Question peut-être absurde pour certains. Mais je connais ma mère, aussi longtemps qu'elle peut prétendre que mon père n'existe pas, elle le fera. Elle évite mon regard. Touché.

- Je lui laisserai un message, avec l'adresse de l'école, si jamais il veut venir te voir sur les heures de visite.

Les heures de visite... Et puis quoi encore ? C'est quoi cet endroit ? Un pénitencier ? Tais-toi ! Pas de vague... Ce n'est pas pour longtemps. Pas de vague. Oui, mais ils se prennent pour qui ? ! Avec leurs règles à la – Pas de vague, fais-toi oublier et tout redeviendra normal...

J'expire profondément, essayant de masquer l'ébullition de mon cerveau et de ralentir la cadence.

- Ça te gêne si je mets un peu la radio ?

- Vas-y.

Ma mère appuie sur plusieurs boutons, avant d'arrêter son choix sur un morceau d'opéra. Au moins le bruit extérieur étouffe le vacarme dans ma tête.

Nous roulons trois bonnes heures avant d'arriver devant le grand portail de l'internat. Je n'ai pas essayé de dormir, le réveil serait trop dur. Il pleut, et quand je sors pour aller appuyer à l'interphone, je me retrouve dégoulinante en quelques instants. Malgré le ciel orageux, qui donne un aspect presque lugubre à l'énorme bâtisse de pierre, le lieu est joli. Derrière la muraille de pierre qui entoure la propriété, je peux distinguer une épaisse forêt. Les feuilles jaunes, rouges et oranges ne sont pas encore toutes tombées, et sont les seules traces de couleur dans ce décor. Je remonte dans la voiture et le portail s'ouvre.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant